série théorie critique

l'exil, l'épreuve et le défi

Patrice Deramaix


Crise du droit d'asile, crise de la démocratie

En juin 1985, plusieurs pays de la communauté européenne - la France, l'Allemagne, le Bénélux - établissent une convention, à Schengen, sur l'abolition graduelle des frontières internes. En 1990 sont signés les arrêtés d'application qui régissent la libre circulation des personnes et des biens à l'intérieur de l'espace communautaire, et définissent les modalités de l'octroi des visas, de l'accueil des réfugiés politiques et de l'immigration. Ces premiers signataires sont rejoints rapidement par l'Italie, l'Espagne, le Portugal, et la Grèce. Conçus pour permettre la suppression des contrôles de personnes aux frontières communes, les accords de Schengen déterminent les mesures à prendre en matière judiciaire. Ils définissent les modalités de traitement des demandes d'asile et de la poursuite transfrontalière, en particulier à l'égard des migrants "clandestins". En clair, Schengen ouvre l'espace intérieur européen mais renforce et coordonne les contrôles frontaliers externes. Cette évolution de la CEE vers l'unification politique n'est pas sans conséquence sur la politique migratoire et sur le droit d'asile. L'Europe, affirme-t-on dans les cercles du pouvoir, est confrontée à l'explosion des demandes d'asile et doit faire face aux flux migratoires qui, incontrôlés, risqueraient de déborder largement les besoins de main-d'oeuvre migrante, et de saturer, d'une manière ou de l'autre, les systèmes de sécurité sociale. De plus, les hommes politiques se voient confrontés à l'exacerbation de la xénophobie se manifestant par l'activisme d'extrême-droite.

Se situant aux alentours de 18 millions, le nombre de réfugiés dans le monde témoigne de la multiplication de la violence sociale et politique mettant en péril la sécurité et les droits fondamentaux d'une fraction de plus en plus large de l'humanité. Aux répressions politiques s'ajoutent les conséquences des guerres internationales et régionales, des catastrophes écologiques et de la misère sociale. L'Europe elle-même fut confrontée, entre 1991 et 1993, avec les nouvelles guerres balkaniques, avec le déplacement massif de populations, qui accompagne la réalité terrible des camps de concentration et des "purifications ethniques". note 1

Pourtant, des 18 millions de réfugiés, seulement 10 % se trouvent en Communauté européenne, c'est dire que la CEE est loin d'être submergée par la misère du monde. Il est vrai que ces dernières années, les administrations ont vu s'accroître, de manière significative, les demandes d'asile politique. Cette "explosion", toute relative, est corrélative avec la fermeture des frontières aux migrants et l'on a pas manqué d'en déduire que nombre de demandeurs sont plus motivés par des raisons économiques que par les persécutions dont ils feraient l'objet. Cette suspicion qui frappe tout demandeur d'asile, médiatiquement présenté comme le resquilleur d'un droit restreint, ne prend pas en considération une réalité sociale beaucoup plus complexe que la classe politicienne, prompte aux démagogies, ne le présente à l'opinion publique.

Les structures d'accueil des réfugiés furent mis en place dans un contexte géopolitique fort différent de celui d'aujourd'hui : après la résorption des personnes déplacées de la seconde guerre mondiale, le droit d'asile en Europe a été étendu à l'ensemble des personnes persécutées ou menacées de persécution et les modalités de reconnaissance du statut de réfugié furent établies de manière à permettre une évaluation du bien-fondé de la demande de reconnaissance. Etablir la véracité des dires du requérant et définir son origine restent des étapes essentielles de l'octroi du statut de réfugié, que l'on assimilera pas à la simple acceptation d'un séjour prolongé ou d'une installation comme migrant. Le réfugié est en effet une personne dont les droits fondamentaux, que son pays d'origine devrait garantir, sont bafoués. Ne pouvant plus se tourner vers la justice de son Etat, il n'a d'autre ressource que de demander asile à un Etat tiers, qui lui assurerait, dans des conditions reconnues par la communauté internationale, sa protection.

Cette définition sans équivoque, assez stricte, permettait d'apporter une solution réelle à des situations individuelles dramatiques et concrétise le 14e article de la Déclaration universelle, qui garantit le droit d'obtenir un asile face à la persécution. Cependant, l'aggravation de la situation socio-économique mondiale et la multiplication des conflits internationaux et régionaux qui en résultent, mettent les autorités compétentes face à des situations d'urgence imprévues, en particulier lorsque la frontière s'efface entre la persécution pour des raisons politiques (consécutives à un engagement politique) et l'insécurité existentielle, quotidienne, structurelle qui résulte d'une situation sociale précaire, ou de l'appartenance à une communauté ethnique ou religieuse. Dès lors, entre l'émigration économique - fuite de la misère et conséquence du déni des droits sociaux - et l'exil politique, une confusion s'installe, touchant d'ailleurs et l'exilé politique, au sens strict, et l'exilé économico-social. En effet, durant les années fastes de la migration économique, celles de la relance économique et d'une demande explicite d'une main d'oeuvre immigrée, nombre de travailleurs migrants "ordinaires" étaient en fait des réfugiés politiques préférant la solution d'une émigration "économique" note 2, plus discrète, plus simple - car elle évite les formalités administratives et juridiques de l'octroi du statut de réfugié - et n'établissant pas une rupture "officielle" avec le pays d'origine, tandis que de nos jours, un certain nombre de demandes d'asile politique découlent d'une situation d'insécurité collective, vécue plus sous le mode de la précarisation sociale et de la violence économique, que sous le mode de la persécution politique au sens strict du terme. L'un et l'autre - violence politique et violence économique - se conjuguent dans un même déni des droits fondamentaux.

Le XXe siècle est celui des violences collectives portées au point extrême de la dénégation d'humanité. La catégorie juridique du "crime contre l'humanité" désigne l'exclusion de communautés humaines entières, définies par leur "ethnicité", du champ même de l'humanité. Les victimes perdent, par décision d'Etat, le statut d'être humain et se trouvent réduites à une définition purement biologique de leur appartenance à une catégorie (racialisée, ou ethnicisée) de "non-humains"... Outre les génocides, nous voyons apparaître dans la tragédie des errances géopolitiques, des hommes, des femmes, des enfants privés d'Etat. En effet, la jouissance des droits humains ne peut se concrétiser que par l'exercice des droits fondamentaux - libertés d'association, d'expression, d'opinion - formalisés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et en principe garantis par les Etats signataires. Or une telle garantie n'existe plus pour les réfugiés qui ne peuvent se prévaloir, auprès de leur Etat, de leurs droits, et dont la condition se trouve d'autant plus fragilisée que la Déclaration universelle des Droits de l'homme n'est pas contraignante pour les Etats, sauf convention régionale de sauvegarde. Dès lors, hors de toute reconnaissance politique, et en particulier, en l'absence d'une insertion concrète dans une communauté nationale, l'individu se voit privé, non seulement de ses droits fondamentaux, mais du droit d'avoir des droits. note 3

C'est en ces marges que la démocratie s'éprouve. Confondue avec la nationalité, la citoyenneté trouve ses limites dans l'extranéité ou dans l'apatridie. La condition d'étranger reste cependant humainement supportable dans la mesure où droits et devoirs sont établis par un statut légal, éventuellement assorti de conventions internationales, bilatérales ou non. Même si l'étranger ne peut se prévaloir de la citoyenneté au sein du pays d'accueil, il ne constitue pas un déni des droits essentiels dans la mesure où l'étranger conserve ses droits dans le pays d'origine. Mais l'apatridie, qui résulte d'une rupture politique ou du déni, par le pays originaire, des droits fondamentaux, induit une précarisation juridique d'autant plus forte que l'asile politique n'est pas reconnu. L'exilé se voit ainsi privé de la possibilité de se prévaloir des droits fondamentaux dans la mesure où nul Etat n'est à même d'en garantir la protection. C'est là une conséquence du principe de la souveraineté d'Etat qui prévaut dans les relations internationales : un droit, fut-il un des articles de la déclaration universelle des droits de l'homme, ne peut être garanti que par un Etat et ce n'est que par le biais d'une convention multilatérale entre des Etats déterminés que des procédures internationales permettent à des citoyens victimes de violations de droits humains de se pouvoir devant, par exemple, la Cour européenne des droits de l'homme. Dès lors, c'est à partir de la citoyenneté que le droit pourra se prévaloir, ce qui - en l'absence d'octroi du statut de réfugié politique ( régi lui-même par les conventions internationales ) - enferme l'exilé ou l'apatride dans une impasse.

Dans cette lisière du droit se manifeste la précarité de la condition humaine : l'existence d'une zone de non-droit dans le corps social donne prise au déni d'humanité d'autant plus facilement que la précarisation des conditions économiques amènent une partie de l'opinion publique et nombre de responsables politiques à se représenter la gestion des réfugiés comme un "fardeau" que ne supporteraient que les Etats à vocation de terre d'asile et que les accords de Schengen tentent d'alléger par une double politique de répartition des charges et d'endiguement des flux migratoires et des demandes d'asile. Et l'on peut s'interroger sur les dérives possibles d'un tel déplacement des priorités, car il ne s'agit plus de faire prévaloir le droit d'asile, mais au contraire, de débarrasser de la charge qui résulte du devoir d'hospitalité. Cette dérive ne se manifeste pas seulement sur le plan des politiques intérieures dont nous verrons les effets pervers, elle se manifeste d'abord sur le champ international et en particulier par la pusillanimité des Etats européens dans les conflits de l'après guerre-froide.

En ex-Yougoslavie, la communauté internationale, et la CEE en particulier, n'ont fait qu'accompagner le processus de purification ethnique, déchargeant sur l'humanitaire de ses obligations en matière d'asile. L'endiguement de l'asile prend la forme d'un triptyque - rapatriement, établissement d'une zone sure, et aide humanitaire - qui permet de contenir à proximité des territoires d'origine, les populations déplacées en vue d'un rapatriement prochain, sous protection internationale. Cependant cette solution n'apporte qu'un palliatif précaire dans la mesure où elle dépend d'une stabilisation politique et sociale des territoires concernés, stabilisation qui aurait, dans le cas des conflits balkaniques, nécessité une intervention plus drastique, politique et éventuellement militaire, de la part de la communauté internationale. En fait d'intervention politique, on assiste à une ingérence purement humanitaire qui perpétue la dépendance et consacre la précarisation du droit international.

L'autre volet de l'endiguement est la fermeture des frontières et la dissuasion de la demande, par le biais d'une interprétation de plus en plus restrictive de la Convention de 1951. Nous assistons en conséquence à un durcissement général des règles d'admission de réfugiés politiques, à la programmation d'une réduction des flux migratoires, à la stigmatisation des demandeurs soupçonnés d'être des migrants "clandestins", à l'expulsion forcée et massive des déboutés du droit d'asile ou des migrants en situation irrégulière.

Une telle situation pose clairement une question d'ordre social, puisque étant donné que la demande migratoire ne peut être jugulée que par un renversement des rapports socio-économiques entre régions développées et sous-développées, dans la mesure où la non-reconnaissance du droit à l'asile, et la non-reconnaissance des besoins migratoires induit une lourde précarisation sociale. Elle pose aussi une question d'ordre éthique, dans la mesure où elle conduit à accepter l'exclusion d'une fraction significative d'exilés, ceux qui sont "privés d'Etats" - en raison de leur non-reconnaissance de statut de réfugiés - de la possibilité même de se prévaloir de droits fondamentaux. Elle pose enfin la question politique du fondement de la démocratie, qui définissant la citoyenneté à partir du concept de nationalité et dans le cadre d'une structure étatique, ne peut prendre en compte les droits de ceux qui, du fait de l'impéritie des Etats démocratiques ou de la volonté oppressive des Etats despotiques, se retrouvent démunis de la protection juridique assurée par l'Etat.

Tolérer qu'une fraction de l'humanité soit, sans solution immédiate possible, privée "du droit d'avoir des droits", tolérer qu'aucune patrie, fut-elle celle de la communauté internationale, ne puisse protéger les hommes de la passion dévoratrice des tyrans, revient à admettre que les nomades, les errants, les sans-patries, et les sans-droits puissent être exclus de la communauté humaine. Ce serait tolérer et admettre le délabrement politique, éthique, et juridique qui permit, au coeur du XXe siècle, le déferlement des violences collectives qui furent, à juste titre, qualifiés de crimes contre l'humanité.

Exil et précarisation sociale

Dans la logique de Schengen, la prospérité capitaliste se ferme à tout accueil, à toute générosité, à toute ouverture qui ne serait pas dictée par les intérêts marchands ou par la géostratégie des Etats et affiche la volonté d'endiguer le flux migratoire.

Cette politique n'est pas sans effets pervers :

La question de l'accueil des réfugiés est étroitement liée à celle de l'accueil des migrants : la xénophobie exacerbée par des démagogues ont favorisé l'adoption de politiques restrictives : refus drastique de toute immigration, regroupement familial réduit au strict minimum, et expulsions accélérées. Les dérives sont nombreuses : on impose aux délinquants mineurs la double peine d'une expulsion consécutive à une condamnation pénale, on fait la chasse aux " clandestins " sans tenir compte de leurs besoins sociaux et humains, on programme la " charterisation " - expulsions collectives par charter - des sans-papiers, on tente de dissuader, par une inquisition soupçonneuse, les mariages entre belges et étrangers, suspectés d'être plus de convenance que d'amour. De plus en plus, on cherche à contrôler et à incarcérer. On ouvre des centres de rétention plutôt que de favoriser l'insertion sociale et culturelle ; on emprisonne plutôt que de fournir une aide sociale - la majeure partie de la (sur)population carcérale sont des migrants - non délinquants - en situation irrégulière ; on supprime l'aide sociale aux réfugiés. Bref, nous assistons à la mise en place fonctionnelle de structures d'exclusion et de déni d'humanité.

On peut s'interroger sur les raisons profondes de cette violence administrative. Parler de racisme peut être pertinent, dans certains cas, mais n'aide pas à comprendre cette dérive. En fait, la politique gouvernementale, qui s'aligne sur celle de la CEE, répond aux besoins du patronat, elle répond aux besoin d'une économie précarisée qui, tout en devenant protectionniste, cherche et encourage la circulation mondiale des capitaux et des biens pour mieux s'implanter là où - en raison de l'absence de droits sociaux - les frais salariaux peuvent être minimisés. Mais toute l'économie ne peut être délocalisée. Pour nombre d'entreprises, le recours à une main-d'oeuvre précarisée - chômeurs en fin de droit, jeunes employés dans le cadre de programmes d'insertion aux débouchés incertains, migrants contraints de travailler "au noir", enfants parfois, devient un facteur incontournable de stabilisation des coûts salariaux et d'optimisation des profits.

Loin d'être une forme marginale d'exploitation ou l'expression de la débrouillardise individuelle contre-fiscale, le travail noir est une composante structurelle de l'économie néolibérale dont la compétitivité se paye de la modération salariale et du nivellement au plus bas des prestations sociales. Le travail au noir ne concerne pas seulement le secteur privé, nombre d'administrations locales, des services publics, des entreprises sous contrôle public, use, en sous-traitance souvent, de travailleurs "non déclarés", migrants ou non. Aussi la marginalisation de la classe des " sans " - sans travail, sans droit au chômage, sans papiers - répond à une politique délibérée de précarisation et de mise au pas du prolétariat. Un des moyens de cette politique est la réduction des migrants à la clandestinité.

Le pouvoir, le patronat comme l'Etat, gagne sur tous les tableaux. D'une part une part importante de la main-d'oeuvre prolétarienne est, parce que "clandestinisée", réduite à passer sous le joug des employeurs - parfois issus de l'immigration (parce que la lutte de classe et l'exploitation se passe aussi à l'intérieur des communautés) - au bénéfice d'entreprises que l'économie des frais salariaux et sociaux réalisée grâce au travail clandestin rend concurrentielles. La construction, le secteur horeca (hotel, restaurants, cafés), la confection (y compris la confection de "haut-de-gamme"), la sous-traitance industrielle, le nettoyage, et l'économie domestique profitent largement du travail au noir. D'autre part, du fait de la répression, sporadique, mais soigneusement spectacularisée, du travail clandestin, les migrants sont stigmatisés comme des parasites sociaux, ce qui détourne la conscience populaire des véritables causes de la dualité sociale. Fonction idéologique et fonction économique se conjuguent donc dans la politique européenne de fermeture des frontières : elle précarise le prolétariat migrant, elle stigmatise la classe dangereuse des "sans", elle rappelle, sur la scène internationale, que le capitalisme mondial et ses intérêts prime sur la dignité humaine. L'expulsion muselée et menottée de pauvres hères se conjugue remarquablement avec l'ingérence (dite humanitaire) dans les conflits internes de l'Afrique, ingérence émaillée d'exploits comme ceux de ces paras belges qui torturèrent et violèrent des enfants Somaliens.

Une des craintes affichées du pouvoir est de voir le mouvement de régularisation des sans-papier alimenter, comme l'affirmait L. Jospin, "les filières criminelles du travail clandestin". En réponse à E. Balibar, Didier Motchane note 4 prenait en compte l'existence de ces filières et la possibilité de voir une large régularisation des immigrés donner crédit à cette activité souterraine, renforçant ainsi la dérégulation sociale imposée par la mondialisation capitaliste. Le flux migratoire alors incontrôlé alimenterait sans entrave les pourvoyeurs de main-d'oeuvre clandestine.

Motchane met de fait le doigt sur une contradiction essentielle. La liberté de circulation est un droit libéral qui, dans la perspective capitaliste, réduit l'homme au statut de marchandise, de force de travail, qui doit pouvoir être, sans entraves protectionnistes, disponibles là où sont les entrepreneurs. Dans cette optique, défendue par certains libertariens, la dérégulation des flux migratoires s'impose, conjointement à une dérégulation fiscale et sociale.

Mais la lutte contre les expulsions s'inscrit dans une autre perspective : c'est du point de vue du migrant, et non celui de l'employeur, que les revendications sont formulées. L'intérêt objectif du migrant est de pouvoir se fixer - dans un cadre légal - là où il a le plus de chance de s'épanouir et c'est précisément la clandestinité imposée par la politique actuelle qui le jette à la merci des pourvoyeurs du travail clandestin. Le travail clandestin, en soi, peut et doit être réprimé, et ce contrôle, cette répression, sera d'autant plus aisée que le séjour du migrant sera officialisé de plein droit.

Nous nous trouvons devant une contradiction qui devra trouver une solution politique d'autant plus courageuse qu'elle devra s'opposer à l'intérêt immédiat d'une fraction non négligeable des entrepreneurs.

D'une part, la fermeture des frontières, qui cherche à tarir le flux humain alimentant le travail clandestin, introduit dans l'espace mondial des zones territoriales où la dérégulation sociale reste soumis au régime de droit. D'un autre côté, la dérégulation des flux migratoires risque, selon ses adversaires, de permettre une croissance issupportable, pour le système de sécurité sociale, de l'offre de main-d'oeuvre migrante. Dans un marché mondial non protégé par un protectionnisme d'Etat, les conditions sociales deviennent un facteur de décision économique contradictoire : elles freinent l'investissement capitaliste en raison du surcoût salarial qu'elle entraîne, et d'autre part, elles constituent un facteur d'appel de la main-d'oeuvre migrante, accroissant la demande d'emploi tout en en diminuant l'offre. Mais la fermeture des frontières ne diminue en rien la migration. Tout comme le régime prohibitionniste, ses effets sont paradoxaux et pervers. La fermeture ne peut être parfaite qu'au prix d'un quadrillage serré du corps social et d'une violence administrative et policière capable de faire abstraction des droits fondamentaux : liberté de circulation, de séjour, de trouver des conditions de vie humaines.

La précarisation du migrant illégal l'entraîne à accepter n'importe quelle condition de travail et le soustrait à la sphère du droit. Les activités souterraines des filières de passage et de recrutement clandestin alimentent une économie incontrôlée et échappant à la fiscalisation, renforçant paradoxalement ce que l'Etat voulait combattre : la dérégulation économique et sociale et la criminalisation de la vie économique. Enfin, elle donne une image négative du migrant, alimentant la xénophobie et l'exacerbant, donnant prise aux démagogues puisant à des fins démagogiques ou électorales à un fond de commerce idéologique nauséabond.

Les discours sont symptomatiques : la volonté affichée des gouvernants de ne pas donner des " signes d'appel " à de nouveaux flux migratoires relève de l'euphémisme. La brutalité mise délibérément en oeuvre dans les expulsions se veut dissuasive : il importe de donner clairement les signes du mépris, et de signifier que l'étranger est non seulement économiquement indésirable, mais qu'il n'est même pas digne d'égard.

La volonté de lutter contre le travail clandestin se trouve au coeur du discours officiel sur le contrôle des flux migratoires. Ainsi une régularisation systématique des sans-papiers aurait pour conséquence, selon les gouvernements, d'avaliser les pratiques non légales permettant l'immigration clandestine. Elle donnerait crédit à ceux qui, croyant trouver en Europe accueil, emploi et sécurité matérielle, s'en remettaient aux réseaux plus ou moins mafieux de passeurs et de trafic de main d'oeuvre pour s'insérer dans les interstices de l'économie européenne, espérant une régulation future de la situation. L'officialisation de la présence des irréguliers constituerait une incitation à une migration incontrôlable pour le plus grand bénéfice d'un patronat sans scrupule. En fait, l'Etat, en maintenant son pouvoir discrétionnaire dans la régularisation d'un étranger, ferait preuve de responsabilité et assurerait la protection des travailleurs par son refus sans concession d'une migration clandestine alimentant les filières se nourrissant du travail noir.

Le but affiché est de préserver, dans la jungle mondiale du libéralisme, une zone de protection juridique où le droit social prévaudrait sur les intérêts patronaux et les intérêts mafieux des passeurs et dans cette perspective, le marché européen de la main d'oeuvre doit être protégée de l'irruption incontrôlée des travailleurs clandestin. La vision qui se dégage de cette argumentation, qui trouve écho autant au sein de la social-démocratie que dans les milieux traditionnellement peu ouverts aux migrants, est celle d'une Europe confrontée aux périls de la mondialisation choisissant l'isolationnisme sur le plan de la circulation de la main d'oeuvre.

Cette politique ne peut être assimilée à une xénophobie vulgaire ou organisée, l'intention étant de protéger le travailleur, y compris le travailleur migrant de l'exploitation dont il pourrait faire l'objet. Mais nous ne pouvons manquer d'y trouver une analogie avec le discours national-frontiste. L'un comme l'autre s'opposent à la mondialisation. Le FN dénonce la mondialisation comme un aplatissement des identités nationales sous une culture homogénéisée et dominée par une ploutocratie internationale, Motchane voit dans la migration de travailleurs clandestins non seulement l'effet de la domination capitaliste mondiale, mais aussi un facteur de sa propagation. L'ennemi est désigné : "l'horreur du monde", la "mondialisation capitaliste" ; le facteur de propagation du mal est désigné, lui aussi : c'est le migrant, qui paye des passeurs, accepte le travail clandestin, et libéré de ses dettes deviendrait lui-même un employeur clandestin. La régularisation inconditionnelle, des migrants chinois par exemple , ne conduirait qu'à favoriser le trafic noir de main-d'oeuvre et constituerait une démission de l'Etat républicain qui se doit de protéger l'espace de droit des effets pervers de la mondialisation.

Nous pourrions suivre sans réticence cette politique si elle consistait à exercer ce contrôle sur l'activité économique des employeurs. Or, c'est sur les migrants en quête de travail et soumis aux contraintes léonines du marché de l'emploi que l'Etat exerce sa vigilance aux frontières. Ce n'est donc point au nom du travailleur migrant que l'on agit afin de lui épargner l'exploitation sans entrave du capital, mais bien au nom de l'Etat - un état à l'économie libérale savamment régulée - que l'on cherche à protéger le marché interne de l'emploi des migrants susceptibles de le déstabiliser et de fragiliser les mécanismes de ponction fiscale et de redistribution du surplus social. Cette fermeté dans le maintien, au prix de la violence des réfoulements forcés, de l'espace juridique régulant le travail et le système de sécurité sociale s'avère dans les faits contre-productive. En effet, le refus de la régularisation collective des sans-papiers déjà installés ne pourra contribuer à réduire la demande migratoire, c'est-à-dire le désir de s'insérer dans le tissu social et économique du pays d'accueil, désir qui correspond autant à un besoin économique vital qu'à une fascination culturelle ou idéologique. La répression de l'exploitation clandestine de la main-d'oeuvre est souhaitable, mais, cette main-d'oeuvre reste clandestine et surexploitée parce que les Etats européens n'offrent aucun espace de droit capable de répondre à ce besoin migratoire.

Paradoxalement, l'antilibéralisme protectionniste qui induit le contrôle antimigratoire et le refus des régulations des sans-papiers renforce la dérégulation sociale puisqu'elle soustrait la main-d'oeuvre clandestine de l'espace social où s'exerce le droit. Régulariser et octroyer un permis de travail, accorder l'aide sociale à une insertion économique, briserait au contraire la chaîne de dépendance entretenue par les réseaux mafieux ou claniques. Parce que le contrôle social s'exerce sur le migrant, la précarisation est renforcée, d'autant plus qu'une fermeture effective des frontières européennes est techniquement impossible, sauf à entourer l'espace de Schengen d'un rideau de fer : l'infiltration clandestine est de fait encouragée, pour le plus grand bénéfice des réseaux de passeurs et des trafiquants de main d'oeuvre, au détriment d'une migration régulière. En fait, la réponse protectionniste de Motchane est paradoxale parce qu'il néglige la contradiction essentielle : voulant avec raison protéger le système de sécurité sociale, facteur essentiel d'insertion et intégration, Motchane met (involontairement sans doute) un obstacle à l'intégration des migrants non régularisés en leur imposant de choisir entre l'expulsion, avec la violence qu'elle comporte, et la clandestinité, entre l'échec de l'entreprise migratoire - le retour à la misère de sa situation d'origine - et la précarité sociale au sein du monde capitaliste où, nous ressasse-t-on, l'entreprenant garde ses chances.

En fait cet antilibéralisme formel ne rend pas justice à la position objective des migrants dans les rapports de production, c'est pourquoi sa solution s'avère plus protectionniste - le rapprochement rhétorique, un argument ad hominem adressé aux cinéastes soutenant le mouvement des sans-papiers, avec le protectionnisme culturel des cinéastes est significatif - que sociale. Car si l'on prend réellement en compte la position sociale du migrant, nous ne pouvons contourner le fait qu'en lui nous trouvons la figure contemporaine du prolétaire : c'est-à-dire du déraciné qui migre, hors de sa terre d'origine, pour vendre sa force de travail à qui veut l'employer et dont la condition, les souffrances, les rêves, les espoirs, et les luttes nous concernent en raison de l'universalité de leur condition d'exilés.

Délibérément, l'Etat cherche à dissuader la demande d'asile politique - parce le réfugié reconnu est effectivement protégé - tout en laissant faire les trafiquants mafieux de main-d'oeuvre. Le but de ces manoeuvres est plus d'acculer les travailleurs à la clandestinité que d'empêcher véritablement les migrations : le besoin de main-d'oeuvre précaire devient vital pour une économie fragilisée par la concurrence mondiale et fonctionnant à flux tendu. Nous assistons donc à une politique de " délocalisation interne ", c'est-à-dire de tiers-mondisation sociale, voulue par les forces les plus régressives de la société et aboutissant à l'apartheid social au sein de la société duale : d'un côté les nationaux bénéficiant de la securité sociale, de l'autre les exclus, belges et migrants, démunis de ressources et de droits sociaux, et dont la précarisation permet l'exploitation outrancière, à moins qu'ils ne soient carrément considérés comme des "hommes jetables".

Nous n'avons pas, au nom d'une prétendue responsabilité politique, à aménager la politique de l'immigration, nous n'avons pas à " contrôler ", ni à " maîtriser " les flux migratoires ... si les capitaux circulent, si les biens circulent en toute liberté et sur toute la planète, si les entrepreneurs délocalisent là où ils trouvent leur intérêt, les hommes doivent circuler, non pas comme force de travail, non pas comme marchandise, non pas comme esclaves, mais comme êtres libres qui s'insèreront de plein droit et dans l'activité économique et dans les luttes sociales.

Nous devons, en démocrate, reconnaître à quiconque le droit de s'établir pacifiquement n'importe où sur la surface de la planète et d'y chercher les meilleures conditions possible de leur existence. Est-ce encourager la précarisation salariale, est-ce encourager le travail clandestin et l'exploitation esclavagiste, comme l'affirment certains ? Non, car ce n'est que dans la sécurité d'un statut légal, celui de l'étranger correctement accueilli, que les travailleurs migrants pourront s'associer, avec nos forces sociales, à la lutte pour le droit. Et ce n'est que dans la solidarité internationale, et les liens démocratiques que les migrations auront suscités, que les luttes pourront être menées là où les droits élémentaires sont bafoués. Toute démocratie doit retrouver sa vocation de terre d'asile, car ce n'est à cette condition que la solidarité internationale peut prendre corps, qu'une nouvelle " internationale " peut faire pièce à l'hégémonie du capital.

Les contradictions que nous relevions ci-dessus trouvent ainsi leur solution dans l'exercice d'une solidarité internationaliste qui, quoi que puissent affirmer les responsables politiques, ne peut être l'affaire des Etats. C'est dans la lutte sociale qu'elle se dessine sur deux plans complémentaires : le droit à l'immigration, le droit d'asile, et la reconnaissance légale du séjour permet l'inscription du migrant dans le cadre social de l'Etat de droit régissant l'offre et la demande d'emploi. Elle renforce ainsi l'économie légale et favorise les entreprises qui se refusent au déni de droit des travailleurs. Elle renforce aussi la position des syndicats qui ne seront plus tentés de voir dans le flux migratoire une concurrence sauvage des travailleurs nationaux ou réguliers.

D'un autre côté, les travailleurs migrants, s'insérant dans le cadre de l'Etat de droit prennent conscience de leur citoyenneté et acquièrent un sens civique susceptible de se répercuter favorablement dans la conscience collective de leur région d'origine. Enfin, la reconnaissance du droit d'asile offre aux militants syndicaux et aux activistes des régions où les droits fondamentaux et sociaux sont inexistants un espace de manoeuvre élargi, qui leur permet d'utiliser, si besoin est, les Etats de droit comme une base d'appui et une zone de refuge. Renforcer, par des gestes politiques sans équivoque, la solidarité avec les luttes en cours dans les pays en voie de developpement serait un des effets, et une des motivations, de l'ouverture des frontières. Ainsi sera dépassée la contradiction entre nationaux et étrangers, entre migrants légaux et illégaux - une telle contradiction n'a d'autre fondements qu'idéologiques et conduit à une perception altérée de la réalité sociale, renforçant les structures de domination et d'exploitation. Plus clairement mise au jour sera celle qui traverse concrètement l'ordre économique et social actuel. Seul le constat de la perte de la conscience de classe nous interdit de qualifier en ces termes ce terrain d'antagonisme.

La lutte de classe se perpétue certes, malgré l'homogénéisation capitaliste (et précisément à cause de cette dernière), mais ses modalités et son terrain se modifient. Les fractures ne se manifestent plus dans nos usines raréfiées et délocalisées, elle se situent là où l'économie industrielle est en pleine expansion tandis que dans nos régions, elles se manifestent en marge des appareils syndicaux et partidaires qui, jusqu'il y a quelques décennies, en étaient le porteur et s'expriment essentiellement sur le champ superstructurel de l'idéologique (antifascisme), sociales (lutte pour les droits fondamentaux) et politiques.

La stratégie dominante du capitalisme avancé est la dualisation sociale, l'exclusion systématique visant à constituer un non-prolétariat destiné d'une part à fragiliser (économiquement et idéologiquement) le prolétariat actuel (élargi au-delà de la classe ouvrière au sens strict du terme) et d'autre part à servir de réservoir - économique, social et biologique - de matériau humain "consommable" et "jetable".

On mesure l'utopisme de la suppression des frontières si l'on considère le rôle du contrôle frontalier dans la lutte contre la criminalité internationale ou le terrorisme. Ce dispositif sera pourtant renforcé s'il était dégagé des tâches relatives au contrôle et à la répression des simples migrants. Les impératifs de la sûreté publique ne doivent pas faire oublier que la liberté garantie par les droits de l'homme de quitter son pays (article 13, 2) ne peut être concrétisée que s'il existe une liberté réelle de se rendre dans un pays étranger, quel qu'il soit. Or il se fait que la fermeture des frontières rend très problématique l'acquisition des visas par des ressortissants du tiers-monde : les contraintes administratives, et économiques - du fait des taxations abusives - empêchent même des visites familiales, souvent interdites, du fait de refus d'octroi de visas ou d'autorisation de résidence.

Dès lors, des revendications réalistes, qui sont des exigences de droit, se dessinent, qui tiennent compte de l'existence légitime de refugiés économiques, refugiés "de facto" et de plein droit. C'est moins un élargissement du statut de réfugié que le respect minimal des normes imposées par les conventions existantes qui fait l'objet des revendications : le candidat réfugié doit d'abord être entendu avant d'être refoulé. Ce n'est pas toujours le cas, du fait des refoulements à la frontière effectués par les agents de la force publique non habilités à traiter du cas des réfugiés. L'examen de la demande exige, de l'administration, le respect pour l'exilé qui doit être reconnu dans son humanité et dans sa souffrance. Même s'il ne correspond pas aux normes strictes prévues par le statut des réfugiés politiques, son exil répond à un besoin, trouve sa source dans un état de nécessité, et constitue lui-même une souffrance et quand bien même certains - une minorité - se lancent dans l'émigration comme dans une aventure, on ne trouvera pas dans l'existence de ces hommes audacieux, sans doute rusés mais certainement moins malhonnêtes que les conquérants, colonisateurs et investisseurs occidentaux, la raison pour accueillir avec suspicion, mépris et haine ceux qui viennent en exilés ou réfugiés. Dès lors la qualité de l'accueil, de soin apporté à l'écoute, l'attention portée aux problèmes de traduction, de compréhension, d'information et d'assistance juridique nécessitent des mesures directement applicables. Le principe de la rétention administrative des déboutés et des candidats en attente est inacceptable. Un quémandeur n'est pas, ne peut être un coupable, ni même un suspect. Dans ces conditions la mise à disposition de l'administration, sans doute nécessaire, peut et doit prendre d'autre formes que la séquestration systématique. L'expulsion d'autorité ne peut être qu'une mesure exceptionnelle, prise en raison de sécurité nationale ou de l'ordre public. L'exilé débouté du droit d'asile devrait pouvoir recevoir un titre de séjour temporaire et un permis de travail, et à défaut, bénéficier d'une aide sociale, afin de lui permettre de trouver un autre pays d'accueil ou une solution administrative.

Amnesty international note 5 constate que les gouvernements démocratiques se dérobent de plus en plus souvent à leurs obligations internationales en fermant la porte aux exilés. Les recommandations que cette organisation formule relèvent du simple bon sens : informer pour faire face à la xénophobie de l'opinion, ratifier et appliquer les traités internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme et des réfugiés, respecter le principe du non-refoulement qui est à la base du droit international relatif aux réfugiés et qui s'applique dans tous les cas, y compris dans ceux des déboutés, respecter le droit à chercher asile et cesser toute mesure dissuasive, refuser la détention systématique des demandeurs d'asile, subordonner les détentions indispensables à un droit d'appel ou à une décision judiciaire, garantir l'accès à une procédure d'asile équitable et adopter, à l'égard des requérants, une attitude responsable et humaine. Amnesty international veut en outre prendre en considération la situation particulière de certaines catégories de réfugiés persécutés en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle : les femmes en particulier dont la persécution prennent la forme d'abus sexuels dont l'origine trouve la source dans l'infériorité du statut social féminin. Ce ne sont là que les conséquences normales des engagements internationaux que les Etats ont pris pour sauvegarder précisément la nature démocratique de leur pouvoir. Est-ce trop exiger que l'on se maintienne avec fermeté dans l'esprit qui anima la proclamation universelle des droits humains ?

L'asile : droit d'Etat ou droit de l'homme ?

L'exil est une épreuve chargée d'espoir et traversée de souffrances... nul ne quitte sa terre sans déchirement, et nul exilé de ceux que l'on expulse en masse vint parmi nous en conquérant. La raison de leur errance : la misère, l'injustice, la persécution, la guerre... Bien sûr, pour nombre d'entre eux, l'Europe est surtout la terre de cette richesse opulente des touristes et des hommes d'affaires, et ils en concluent qu'ils bénéficieront de cette prospérité ; mais des mots aussi, ceux-là mêmes qui furent colportés par les colonisateurs, parviennent jusqu'aux confins du Sud : démocratie, justice sociale, droits de l'homme... N'est-il donc pas logique que les peuples du Sud se tournent vers ces contrées qui se présentent comme le berceau de la démocratie et de l'humanisme ?

La rencontre avec l'exilé est une épreuve pour la démocratie. Entendons par là que c'est dans cette rencontre, et dans la qualité de son accueil, que la démocratie s'éprouve et se prouve. Certes, l'Etat de droit requiert une définition sans équivoque de la citoyenneté de sorte qu'une frontière, inévitable, se dessine entre le citoyen et le non citoyen. Ce n'est que conjoncturellement, c'est-à-dire à la faveur de l'émergence des Etats-nations, que cette démarcation, dont la ligne est négociable, coïncide avec la nationalité. Cependant la démocratie ne s'arrête pas à ces limites : arguant de l'égalité fondamentale entre les hommes, de leur dignité commune, de l'universalité des droits, comme de la raison et de l'autonomie des humains, la démocratie a comme vocation de s'étendre à tous. Elle est, en tout cas, l'aspiration universelle d'une conscience collective s'éveillant à elle-même dans la lutte pour les droits fondamentaux. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le droit d'asile, le droit à tout être humain privé de ses droits légitimes de trouver refuge en démocratie.

Le droit d'asile s'adresse en premier lieu aux Etats. Il leur donne la liberté d'accueillir quiconque se présente et demande asile, interdisant à la communauté internationale d'interpréter cet accueil comme une rupture du droit qui justifierait une intervention de la part de l'Etat d'où provient le réfugié. Le droit d'asile garantit et protège la relation pacifique entre les états à deux titres. En premier lieu, il offre à quiconque lutte pour la démocratie et se défend contre la persécution, la protection des Etats de droit. Le droit d'asile favorise la diffusion des idéaux démocratiques et donne une assise aux forces sociales capables de contribuer au progrès politique. Secondement, la reconnaissance mutuelle, universelle et réciproque du droit d'asile s'insère dans une logique de relation égalitaire et pacifique entre les Etats qui se reconnaissent réciproquement, comme partie prenante de leur souveraineté, le droit de protéger les persécutés.

Cette perception étatique du droit d'asile - qui trouve sa source historique dans les courants révolutionnaires du 18e siècle - s'avère cependant restrictive tant que l'on ne considère pas que le droit d'asile relève aussi d'un droit humain à la protection, et qu'il est dû indépendamment de la volonté particulière des Etats. L'article 14 de la déclaration universelle des droits de l'homme est très clair : Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. Cet article place clairement le droit d'asile dans la perspective de l'individu. Il reste que la déclaration de 1948 précise sans équivoque qu'on ne peut se prévaloir de ce droit pour se protéger des poursuites légitimes en termes de droit commun ou même de poursuites politiques lorsqu'elles visent des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies. Un tyran en fuite, un criminel de guerre, un extrémiste antidémocratique ne sauraient se réclamer de l'article 14. Mais qu'en est-il de cette persécution dont il est question dans l'article 14 ? Faute de définition plus claire, on ne saurait trouver d'autre réponse que l'ensemble des droits fondamentaux : du droit à la vie, à la sûreté et à la liberté de la personne aux droits économiques, sociaux et culturels, en passant par les libertés d'opinion, d'association, et d'expression, la déclaration des droits humains délimite les frontières de la légitimité, formelle et fondamentale, de la répression.

En se référant à cette déclaration, nous gardons bien conscience que cette proclamation n'a rien d'une convention interétatique à caractère contraignant. Certes, la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme (Rome, 1950) oblige les Etats signataires, mais cette obligation ne s'étend pas en dehors de sa sphère propre d'application et ne dit rien à propos du droit d'asile. Cependant, ses préambules, qui se réfèrent explicitement à la Déclaration Universelle de 1948 montrent bien que la volonté des parties contractantes est de concrétiser, dans l'espace politique européen, ces droits fondamentaux. La Déclaration Universelle constitue donc bien le cadre de référence de cette Convention qui, logiquement, devrait protéger le droit d'asile.

La Convention internationale relative au statut des réfugiés (Genève, 1951) se réfère, elle aussi, à la Déclaration universelle des Droits de l'homme. Il considère, dans ses préambules "qu'il est désirable de reviser et de codifier les accords internationaux antérieurs relatifs au statut des réfugiés et d'étendre l'application de ces instruments et la protection qu'ils constituent pour les réfugiés au moyen d'un nouvel accord", indiquant bien la volonté des parties contractantes d'étendre le droit d'asile au-delà de ce que les accords internationaux antérieurs le prévoyaient.

La Convention de Genève, qui portaient sur le statut des réfugiés à la suite "d'événements encourus avant 1951", a été complétée en 1967 par un protocole étendant sans considération de limite temporelle ou géographique le statut de réfugié à toute personne "qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance a un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays..."

De cette convention, il faut retenir, pour ce qui concerne le problème des expulsions, trois articles :
L'article 31 concerne les réfugiés en situation irrégulière dans le pays d'accueil. Les Etats contractants se refusent à appliquer "des sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée(...), entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation". Les réfugiés ont l'obligation cependant de se présenter sans délai - interprété souvent comme un "délai raisonnable", 24 heures ou quelques jours - aux autorités. Il limite en outre les restrictions aux déplacements de ces réfugiés au strict nécessaire et seulement "en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d'accueil ait été régularisé ou qu'ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays".
L'article 32 stipule que les Etats contractants "n'expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité ou d'ordre public" et que cette expulsion ne peut avoir lieu qu'en exécution d'une décision légalement rendue. Même en ces circonstances les Etats accorderont "un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays"
L'article 33 interdit le refoulement et l'expulsion de réfugiés. "Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie et sa liberté seraient menacées (...)". La seule exception prévue serait le cas de "danger pour la sécurité du pays" ou une "condamnation définitive pour un crime ou un délit particulièrement grave"

En gros, le réfugié reconnu comme tel jouit au minimum des droits accordés aux étrangers en situation régulière, avec la garantie supplémentaire qu'il ne sera pas refoulé là où il se trouve en danger. Généralement, ces droits sont respectés mais la pratique montre que les problèmes surgissent, en fait, en amont de la reconnaissance. Il se fait que la Convention de Genève 1951 et le protocole de 1967 furent élaborés dans un contexte politique et économique qui permettait aux pays industrialisés d'assurer largement l'accueil des réfugiés. Le (relatif) plein emploi et une politique d'immigration ouverte créaient le cadre économique et social d'une intégration relativement aisée : le réfugié venant de l'Est avait bonne presse de la part du pouvoir tandis que ceux fuyant les dictatures sud-américaines, africaines ou d'Asie, recueillaient la sympathie de l'opinion publique et l'appui structuré des organisations tiers-mondistes. En trente ans les conditions se sont radicalement transformées : la crise économique et le chomage structurel empêchent - aux yeux du pouvoir - l'intégration économique de nouveaux migrants. Les dernières générations de migrants - ceux issus d'Afrique du Nord, du Proche-Orient ou d'Afrique - vivent une intégration problématique, ou problématisée par la persistance d'une xénophobie politiquement entretenue ; le besoin d'une main-d'oeuvre immigrée se réduisant à la mesure que s'installe le chômage, la politique migratoire a consisté à fermer les frontières européennes et à réduire au strict minimum la migration consécutive aux premiers flux (regroupement familial) tout en gérant avec frilosité l'insertion socio-politique des migrants qui font souche. En même temps, les crises internationales se multiplient et se déplacent, se doublant d'une précarisation croissante des populations du Sud : la migration n'est plus le fait d'une main-d'oeuvre recrutée par un patronat occidental en mal de prolétaires aisément corvéables, mais un besoin vital d'une population sise à la lisière de l'économie marchande et dont la survie est devenue problématique.

Soyons clair, le plus souvent, ce ne sont pas les plus miséreux qui frappent à nos portes. Ceux qui se présentent aux aéroports ou tentent l'aventure du passage clandestin ont pu généralement accumuler les ressources financières nécessaires aux démarches administratives ou pour payer les frais de passage. C'est dans ses retombées économiques indirectes que la migration est une source de revenu indispensable à ces nombreuses régions d'Afrique ou d'Asie, que la détérioration des conditions politiques, économiques et écologiques, fait basculer dans la misère. Elle est essentielle aussi à un développement futur de ces communautés, développement qui ne se peut se concevoir - en raison même de la politique économique imposée par le FMI - en faisant abstraction de l'économie de marché et des dépendances technico-économiques qu'elle entraîne. Pour investir, même petitement, il faut des capitaux, et ces capitaux ne peuvent provenir que de régions à fortes devises. L'émigration est donc, pour ces régions sous-développées, une contrainte vitale, un impératif économique et un facteur de développement local.

Dans ce contexte, et tenant compte de la politique de fermeture européenne des frontières, on observe un déplacement de la stratégie migratoire : le migrant économique est souvent contraint à prendre d'énormes risques - y compris physiques - dans une immigration clandestine, et à passer sous le joug d'intermédiaires plus ou moins mafieux. La tentative d'obtention, rusée il est vrai, du statut de réfugié est donc, de leur point de vue, une solution rationnelle, quoique aléatoire.

Cette stratégie n'en pose pas moins une question de légitimité. Car, nous devons bien admettre que nombre de demandes restent, aux termes des conventions régissant le statut du réfugié, infondées. Mais il n'empêche que la démarche de ces migrants, en quête de meilleures conditions de vie, reste justifiée et que nous sommes en devoir d'y apporter une réponse respectueuse des droits humains. C'est une telle réponse qui fait défaut dans la politique actuelle d'expulsion. Ce n'est pas tant le refus de statut de réfugié - que l'on ne peut raisonnablement appliquer à tous les cas d'exil non directement liés à une persécution, que le traitement imposé à la fois aux demandeurs - qui pâtissent d'une présomption de fraude - et aux déboutés dont on ne fait aucun cas de leur situation réelle de détresse.

Or nonobstant l'application littérale de la loi, il faut bien considérer que la migration économique est une réponse à un déni réel des droits fondamentaux. L'article 25 de la Déclaration des droits de l'homme le stipule en toute clarté : "toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté". S'ajoutent à cette garantie de droits économiques et sociaux, le droit à la protection de la maternité, de l'enfance, le droit à l'éducation (art.26)....en clair, l'ensemble des droits étroitement associés à la vie économique. Selon toute apparence, ces droits ne sont pas pris en considération dans le statut des réfugiés, qui ne protège que ceux qui sont sciemment persécutés par l'Etat. Il est vrai aussi que les dispositions de la Déclaration universelle des Droits de l'homme ne sont pas contraignantes, sur le plan juridique. Mais ils n'en constituent pas moins une obligation morale et politique, de laquelle les gouvernants sont redevables vis-à-vis de leurs électeurs. Dès lors un migrant économique ne peut, même s'il tente la solution alternative, irréaliste peut-être, mais légale, de l'obtention du statut de réfugié, qui lui permettrait d'outrepasser les dispositions restrictives en matière de migration, rencontrer notre réprobation.

Le fait est, que, même en l'absence de persécution explicite, son Etat ne garantit pas les droits - sociaux, économiques, éducationnels .... - prévus aux articles 25 et 26, sans quoi il ne serait pas obligé d'émigrer - souvent dans des conditions matérielles et psychologiques lamentables - pour survivre. L'exilé économique est un exilé à part entière (contrairement à l'entrepreneur riche qui s'investit dans un projet à l'étranger) qui à droit, non seulement à notre compassion, mais à ce que nos Etats, dont la prospérité repose sur l'exploitation du Sud, garantissent - d'une manière ou de l'autre - des conditions de vie décentes, ou à tout le moins veillent, en cas d'éloignement nécessaire, au respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine.

L'homme politique reconnaît volontiers que des conventions cinquantenaires et des protocoles datant de plus de trente ans deviennent obsolètes : le vieux monde bipolaire s'écroule et le nouveau surgit dans des souffrances accrues. Le fantasme ultra-droitier d'une Europe submergée de demandeurs d'asile circule autant plus aisément dans les esprits que les médias relayent, sans trop de prise de distance, le discours politicien évoquant trop aisément l'arrivée de migrants comme une invasion, un déferlement, voire une submersion qu'il faut à tout prix "endiguer". En fait, il n'en est rien de tel : les hordes craintes ne se pointent pas à nos frontières, pour la simple raison que tant la migration dite clandestine que l'accroissement des demandes d'asile n'excèdent pas un simple déplacement de la migration normale, aujourd'hui administrativement "jugulée" (pour reprendre les termes politiciens) sans que les causes socio-économiques de la demande migratoire soit résolue. On ferme les frontières, mais le besoin du Sud d'un apport financier, et en partie le besoin économique d'une main-d'oeuvre précaire, de la part du Nord, n'est pas diminuée pour autant. Mais on sait bien que le bouclage des frontières européennes n'a d'autre effet que de jeter les migrants dans la clandestinité et une précarité somme toute bien profitable aux "passeurs" mafieux et aux employeurs sans scrupules sociaux. Dès lors la tentation est grande de prendre prétexte des abus pour reviser ces conventions dans le sens d'une restriction du droit d'asile. Le texte de la Convention est interprétée au plus près de la lettre : les dispositions restrictives de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'homme, l'exception de l'article 5 § f, autorisant la détention "d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire" y sont survalorisées au détriment de dispositions beaucoup plus fondamentales sur l'interdiction de "traitements inhumains ou dégradants".

Peut-on appeler d'une autre manière la détention de personnes innocentes de tout délit, souvent éprouvées par les raisons de leur exil, privées du droit à la défense tant leur demande n'est pas évaluée quant au fond, dans des locaux surpeuplés, à l'hygiène défectueuse, soumis à l'arbitraire d'un gardiennage - parfois privé - qui ne fait, à l'occasion, pas l'économie des tabassages et des séquestrations en cachot ? Comment appeler autrement le garrotage, menottage - pieds et mains - et le baillonnage publics de personnes expulsées - certaines en sont mortes - dont la détresse est telle qu'elles résistent, de toutes forces - y compris par l'automutilation, la grève de la faim, les tentatives de suicide - à une expulsion dans un pays où elles n'ont ni attache ni moyen de subsistance ? Comment appeler le débarquement d'office d'exilés dans les lieux en guerre, où ils subissent souvent l'emprisonnement (dans des conditions combien plus pénibles que la pire des prisons européennes) et l'arbitraire de policiers corrompus ? Comment appeler la mise à disposition des déportés à des entreprises (de transport, voire de gardiennage) privées - nullement habilitées à traiter du cas de réfugiés - chargée, moyennant rétribution financière, le réacheminement "à bon port" ?

L'Europe se targue de relever le défi de la relance économique et de l'unification politique, malheureusement, elle ne relève pas le défi social. Et les réponses qu'elle donne à l'accroissement de la demande d'asile, et à l'afflux migratoire, qu'il faut bien admettre comme une conséquence de la dualisation planétaire et de l'économie globale, vont dans le sens de la fermeture et de l'exclusion. Au défi qui lui est posé, la démocratie répond par la régression sociale, par le déni des droits de l'homme et le mépris des conventions internationales. Au lieu de résister aux pulsions identitaires, aux frilosités xénophobes et aux haines ethniques, elle s'y plie, donnant prise à aux ennemis de la démocratie. On peut se demander dans quelle mesure les politiciens libéraux et socialistes qui se prêtent à ce jeu dangereux ont pleinement conscience des implications de cette dérive. "Ne pas accueillir toute la misère du monde" semble relever du bon sens économique... mais il ne s'agit pas de disperser ses ressources dans une générosité irresponsable, il s'agit de traiter l'exilé, et le migrant, dans la dignité qu'il mérite et si cette dignité implique que nous devions, pour un temps, le laisser "puiser dans le frigidaire", un frigidaire (continuons à filer la métaphore) empli de ces victuailles exotiques arrachées aux tiers-monde, nous ne pourrions, sans miner les fondements de nos démocraties blettes, nous dérober à ce devoir éthique.

On peut s'interroger, par ailleurs, sur la mesquinerie de cette remarque à propos de la "misère du monde" lorsqu'on on pense que la grande majorité des réfugiés se trouvent - dans des conditions précaires et souvent dramatiques - hébergés par les nations les plus pauvres. L'Europe (y compris l'Europe centrale et de l'Est) n'accueille en tout et pour tout que 23 % du nombre total de réfugiés et l'Afrique abrite plus de réfugiés que l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Océanie réunies

La parabole chrétienne du "mauvais riche", promet les pleurs et les grincements de dents de la Géhenne à ceux qui jettent le mendiant parmi les chiens. L'enfer que nous vivrons si nous persistons à rejeter l'exilé loin de notre opulence pourrait bien être la ruine de nos démocraties, devenues incapables d'affirmer leur légitimité parce que petit-à-petit elles réduisent à néant l'universalité des droits humains pour les réserver aux privilégiés de l'économie mondiale. Cette géhenne pourrait bien être le surgissement victorieux des forces les plus régressives, des dictatures les plus implacables, du fascisme occidental comme des intégrismes anti-occidentaux.

Une terrible logique sous-tend la politique inspirant les accords de Schengen, la fermeture des frontières, l'expulsion massive et brutale des exilés. C'est une logique fonctionnelle, j'ose le croire, qui trouve son aboutissement dans les pratiques concentrationnaires, celle des nazis certes, mais aussi celles revues, il y a quelques années en Bosnie, en Serbie et que nous risquons de revoir au Kosovo : celle de la purification ethnique, de la stigmatisation des populations, de leur déportation, de leur enfermement dans des camps. La stigmatisation de l'étranger, de l'exilé, du parasite et du cosmopolite a lieu, aussi bien dans les discours extrémistes, que dans l'opinion ordinaire du bien pensant, et elle est répercutée, amplifiée, par les politiques en mal de démagogie facile : les propos sur les "bruits et les odeurs", "la misère du monde", les "frigidaires" que des étrangers pillent avoisinent les "détails de l'histoire" et les "supériorités raciales". Les uns sont prononcés par des démocrates bon teint, les autres éructés par des extrémistes, mais tous relèvent de la même eau nauséabonde.

Deuxième étape fonctionnelle vers l'horreur : le marquage et le contrôle policier. A l'exigence d'un statut légal, d'une identité officielle - comprouvée par les "papiers" - et d'une insertion régulière dans l'économie nationale, contrôlée par le quadrillage administratif, fiscal et policier de toute la société civile, répond la chasse sans merci à tous ceux qui s'écartent des normes. Le sans-papiers - comme le sans-domicile, comme le sans-travail - devient un clandestin, un hors-la-loi et un hors-droit. L'administration totalitaire des sociétés libérales ne peut tolérer que des hommes, femmes, vivent en dehors de la logique de l'économie marchande, échappant tant aux rêts fiscaux de l'Etat qu'à l'économie libérale. Certes, il y a dans la surveillance du travail noir une préoccupation sociale légitime, celle de lutter contre l'exploitation d'une main-d'oeuvre précarisée et contre l'esclavage, domestique ou non. Mais la motivation réelle est le contrôle social et fiscal plus que le bien-être social du travailleur. Clandestin, le migrant surpris à se faire exploiter "au noir" est - sauf cas d'esclavage manifeste - purement et simplement chassé du territoire.

Troisième étape : la déportation programmée. Puisque démagogiquement on promet des charters, on cherche à les remplir coûte que coûte. Que l'on mêle dans la déportation demandeurs d'asile, vrais clandestins, sans-papiers pour cause de modification de la loi, petits délinquants, et, le cas échéant, des tziganes, sans tenir compte des séparations de famille, des déracinements sociaux, des ruines économiques et des détresses morales importe peu à nos démagogues et à nos bureaucrates paponesques. Toujours est-il qu'un ministre belge de l'intérieur avait trouvé utile d'annoncer, comme des normes économiques, un éloignement de 15.000 exilés par an. Cela nous fait un quota de 1250 personnes par mois, 1250 arrestations et déportations mensuelles de personnes qui, ressassons-le, n'ont commis d'autre délit que de vouloir échapper à la misère et de se retrouver - conséquence de notre politique - en situation irrégulière. Cette logique de la programmation de la déportation est somme toute tout à fait similaire à celle de la bureaucratie stalinienne qui, sur ordre du tyran, réclamait son quota de contre-révolutionnaires à exécuter. On cherchait partout et faute de trouver des coupables, on en fabriquait.

Stigmatiser, chasser, incarcérer... la mise à la disposition du gouvernement est prévue par les conventions de Genève, dans les cas explicite d'irrégularité de présence dans le territoire et pour le temps requis d'une régularisation. En l'occurrence, la mise à disposition ne doit pas nécessairement prendre la forme d'une incarcération dans "des centres fermés" : il s'agit plus simplement de s'assurer de la disponibilité, physique, d'une personne en instance de régularisation ou en instance d'éloignement. D'exception, prévue en vue de la préservation de la sécurité du territoire, l'incarcération est devenue la norme : la majeure partie de la population carcérale est constituée de migrants "illégaux" ; en ce qui concerne les exilés politiques (en attente de régularisation), la mise à disposition du gouvernement, mesure administrativement compréhensible, prend la forme d'une séquestration indigne, d'un enfermement dans des conditions matérielles et psychologiques incompatibles avec le principe même des droits humains et en tout cas totalement inadéquat par rapport à la situation administrative et morale des réfugiés. Quant aux déboutés du droit d'asile, l'incarcération dans les "centres fermés" reste un déni d'humanité puisqu'elle soustrait le débouté de toute protection juridique, en l'asservissant à l'arbitraire d'un gardiennage administratif ou même privé. Quelle plainte peut déposer un débouté du droit d'asile maltraité, s'il ne peut contacter des personnes extérieures, s'il ne peut se faire examiner par un médecin de son choix, s'il ne peut se faire entendre par une autorité compétente et indépendante de l'administration responsable de sa maltraitance ?

Hors de l'espace public, hors du droit garanti par nos institutions judiciaires, hors de la protection que lui confère un statut de citoyenneté, le débouté du droit d'asile, comme le migrant irrégulier, voit son existence fragilisée, son destin aléatoirement soumis à l'arbitraire d'autrui. Il se voit instrumentalisé au nom d'une politique totalement étrangère à ses intérêts, et, puisque cette politique consiste à le rejeter, il se voit exclu, le temps de sa déportation et de son éloignement du territoire, de l'humanité : il est un objet encombrant dont on doit se débarrasser. De l'assertion que le migrant n'a pas à être ici à l'affirmation qu'il n'a pas à être - point final - le pas est trop vite franchissable - et fut franchi dans l'histoire européenne du XXe siècle - pour qu'on ne doive pas s'inquiéter.

C'est dans cette ténue frontière entre la pratique d'exclusion actuelle et le crime imprescriptible que le destin de nos démocraties se joue.

Du devoir d'hospitalité

Le Xxe siècle est celui des ruptures planétaires : l'horreur entre en masse dans l'histoire avec la Grande guerre, et se prolongera dans les exterminations, commises aussi bien dans le monde libre qu'en régime communiste. Pour la première fois dans l'histoire humaine, un Etat s'est donné pour but et raison d'être l'extermination totale d'un peuple dont la caractéristique essentielle est celle d'un long et douloureux destin d'exil. Les deux guerres mondiales jetèrent sur la route des millions de réfugiés, réorientant la figure de l'exilé. Jadis hérétique, dissident, ou individu en quête de liberté et de justice, le réfugié est maintenant l'anonyme jeté dans un destin implacable, non plus en raison de son opposition politique, mais en conséquence de la guerre et de ses destructions massives.... L'exilé, à la fin de la guerre mondiale, est avant tout le réfugié de guerre, des peuples déplacés, des rescapés de destruction, les survivants des camps. Mais la paix revenue ces populations - trente millions de personnes - furent rapidement rapatriées et réinsérées dans leur milieu d'origine de sorte que l'on pouvait espérer, en 1951, que les exodes de masse releveraient du passé.

L'histoire confirma ces espoirs jusqu'à l'effondrement du communisme : la guerre froide figea en effet les rapports internationaux mais oblitéra aussi toute possibilité de libération des régimes totalitaires. Le réfugié des années cinquante et soixante était avant tout le dissident, l'homme qui choisissait la liberté en fuyant le communisme stalinien. Cependant, les luttes anticoloniales, l'obstination des Etats-unis à soutenir les régimes dictatoriaux, remparts contre le communisme, allait changer la figure du réfugié. Exilés argentins, chiliens, boliviens, brésiliens rescapés des prisons et de leurs tortionnaires, africains anticolonialistes ou en butte aux régimes néocoloniaux, sud-vietnamiens échappant aux rigueurs de la guerre, et même nord-américains déserteurs ou réfractaires à la " guerre d'agression impérialiste " menée en Indochine bénéficiaient du crédit d'une opinion largement acquise à l'internationalisme militant. Accueilli à droite comme à gauche, le réfugié politique pouvait s'attendre à la bienveillance d'une Europe respectueuse des conventions de Genève et des droits de l'homme. Cependant les années soixante et soixante-dix connaissaient des flux massifs confinés à l'hémisphère sud : les conflits postcoloniaux apportaient la misère et l'insécurité sur des territoires jusqu'à présent épargnés par la guerre. La victimologie de l'exilé cessa d'être individuelle pour redevenir collective et le statut de réfugié fut d'office accordé à " toute personne fuyant la guerre et l'insécurité " (Convention de l'OUA et déclaration de Carthagène).

Le temps des exodes était advenu pour le tiers-monde, mais il parvint dans la sphère médiatique occidentale à l'occasion de la défaite américaine au Vietnam. A la stupeur des tiers-mondistes, les peuples libérés du Vietnam réunifié fuyaient - au péril de leur vie - le régime produit par la lutte populaire antiimpérialiste. Discréditant le guerillero, le réfugié du sud recevra la caution humanitaire des chiens de garde idéologiques du libéralisme. Mais dès que l'instrumentalisation médiatique et politique des boat-people cessa de porter ses fruits idéologiques au profit du néo-libéralisme, ces exilés perdirent leur visibilité médiatique et furent rélégués dans les camps fermés des pays du sud-est asiatique. Avec eux commencèrent la longue cohorte des réfugiés rejetés en marge du droit, renvoyés à leur misère ou incarcérés administrativement faute de recevoir l'hospitalité qui leur est due. Dix ans passent : le tiers-mondisme fait long feu, le communisme s'effondre, la misère et la guerre ressurgissent dans une Europe plus préoccupée de gestion économique à la petite semaine que des enjeux de civilisation. Aux flux Est-Ouest, Sud-Sud qui drainaient jusqu'à présent l'essentiel des réfugiés, s'ajoutent de nouvelles demandes, de nouvelles migrations : la quête provient désormais du Sud et s'adresse à une Europe fragilisée par la guerre économique. Aux yeux de nos populations replètes, ce flux est massif, mais il est en réalité assez restreint si l'on considère l'ensemble des mouvements de refugiés. Les pays les plus pauvres, ceux d'Afrique entre autres, sont ceux qui supportent l'essentiel de la charge de l'accueil de refugiés.

En réalité l'essentiel de " l'afflux " des réfugiés, et qui est révélateur de notre impuissance à aborder de front une situation qui requiert une détermination politique et éthique résolue, est causé par les nouvelles guerres balkaniques.

Ce mois de juillet 1998, la Belgique enregistra plus de 2000 demandeurs d'asile, la plupart fuyant la guerre du Kosovo, mais leur accueil rencontre bien des obstacles. Témoin de l'inhospitalité belge l'attitude du bourgmestre du Coq, une commune " nantie " de la côte, qui, tout en se défendant d'être raciste, se refuse à accueillir une petite centaine de réfugiés dans son territoire note 6 . Le Centre d'accueil - un centre ouvert - pour demandeurs d'asile pourrait effrayer - dit-il - " la clientèle aisée " de cette station balnéaire et la dissuader d'opter pour des vacances au Coq. Perte de standing et crainte de la " petite criminalité ", tels sont les arguments avancés par un bourgmestre adepte du " Nimby "  note 7 en matière de droit d'asile. Accueillez ces réfugiés mais loin des stations balnéaires bourgeoises : la détresse du monde se doit d'être invisible. Le bourgmestre n'est pas raciste, mais il ressent la présence de réfugiés, d'hommes en détresse, comme une nuisance, plus grave que ces " crottes de chiens " au sujet duquel on le consulte, se plaint-il, tandis que " on a décidé de nous envoyer 130 demandeurs d'asile sans même nous en parler ". Le rejet est d'ordre social ou pour le dire clairement, de classe : " ces problèmes seraient identiques si on devait loger une centaine de Belges ayant un statut social identique ".

Cette prise de position manifeste clairement les dérives politiques de la dualisation sociale vers une ségrégation géographique permettant aux classes aisées de vivre entre soi sans que leur quiétude puisse être troublée par la présence d'êtres en marge, reflétant les cloisonnements sociaux et introduisant dans l'espace social des " bantoustans sociaux ". Que les réfugiés ne soit pas, à proprement parler, des marginaux et que leur présence réponde à un engagement international de la Belgique autant qu'à un impératif éthique ne semble pas troubler l'homme politique : ici encore le souci de l'humanité fait place à l'étroitesse des intérêts et au dédain de classe.

Le devoir d'hospitalité - garant du droit d'asile - relève pourtant de l'impératif catégorique et concerne tout citoyen et non seulement l'Etat. L'accueil du réfugié et la proximité sociologique de ce dernier problématise les rapports entre les " monstres froids " étatiques et le citoyen qui se voit confronté aux conséquences sociologiques de l'ouverture humanitaire dees pouvoirs publics. L'humanitaire, concrétisé dans l'accueil du réfugié, s'avère une composante de la géopolitique quand il régule les rapports interétatiques, imposant les limites à l'oppression, définissant quelques règles juridiques aux conflits armés, exerçant un pouvoir discrétionnaire quant à l'octroi de l'aide. Dans cette mesure, l'humanitaire - et ce y compris l'application volontariste des droits humains - relève d'une forme de domination en ce qu'elle légitime l'interventionnisme " au nom de la communauté internationale " des puissances les mieux armées. Cependant, le volontarisme humanitaire peut contribuer à pacifier les rapports internationaux, et donnerait de réelles garanties aux populations, qui sont en droit de demander asile et protection à la communauté internationale, s'il n'était pas réduit à la portion congrue d'une real-politique inféodée aux intérêts économiques.

Quel chemin pouvons-nous parcourir pour mettre en évidence les liens tissés entre le droit international et la morale individuelle. L'humaniste rappelle que la raison d'Etat reste subordonnée à l'autonomie du citoyen et à la raison humaine : l'homme, tant instrumentalisé dans la sphère économique, revendique sa propre finalité lorsqu'il se fait citoyen. La politique, dévoyée sous la forme de simple gestion économique, pourrait être bien plus qu'un moyen de régulation et de pacification sociale. Comme outil d'une transformation volontariste des rapports humains, d'une modification totale de l'existence humaine ; la politique pourrait prendre l'homme comme fin en garantissant sa liberté tout en lui donnant les moyens matériels et institutionnels de cette autonomie. Le droit d'asile, entendons par là, le droit à demander asile, et le devoir d'hospitalité qui incombe au citoyen, autant qu'à l'Etat, s'avère une composante fondamentale de l'humanisme politique qui trouve sa source dans la démocratie grecque.

L'asile, comme lieu garantissant la sécurité et l'inviolabilité du réfugié, s'enracine plus dans une tradition religieuse que dans la pensée politique : tant en Grèce ancienne qu'à Rome, l'inviolabilité du réfugié - esclave en fuite, délinquant politique, débiteur poursuivi par ses créanciers - était assurée par caractère sacré du temple dans lequel il trouvait asile. Le droit d'asile se trouve même à l'origine de la cité romaine fondée et édifiée autour du temple du dieu Asylaeus, dont l'édifice et les bois qui l'entouraient étaient inviolables. Parallèlement à cette institutionnalisation religieuse, le devoir d'hospitalité incombait à tout maître de maison, qui se devait d'héberger l'étranger, l'errant ou le voyageur, considéré comme un envoyé des dieux. C'était, sur ce point, plus une question d'honneur et de sollicitude propre à une société rurale et clanique que de choix politique inspirée par la notion d'universalité, corrélative à la constitution d'un droit public. Cependant l'institution urbaine de la proxénie officialise, dans l'espace politique, la tradition d'hospitalité : des citoyens étaient désignés pour recevoir, offrir gîte et couverts, aux hôtes étrangers. L'hospitalité, geste politique, faisait partie intégrante de la diplomatie et des relations extérieures des cités : fêtes religieuses et civiles, manifestations culturelles et sportives, relations diplomatiques et commerciales, contacts avec les émigrés et les colons... nombreuses étaient les occasions de recevoir, avec dignité, l'étranger avec l'assurance que l'hôte d'aujourd'hui serait tout aussi bien accueilli en terre étrangère, le moment venu. A Rome aussi, l'hospitalité publique est régie par des conventions internationales, des traités d'amitié ou d'alliance que concrétise le partage du " symbole ", objet de céramique brisé en deux, garant et preuve du lien particulier unissant les contractants. L'institution a pour fonction de sauvegarder la liberté et les biens des étrangers à Rome et d'assurer, de la part des peuples qui acceptèrent l'alliance avec l'empire romain, la réciprocité.

La sacralisation de l'asile a donné lieu au malentendu vivace selon laquelle tout édifice religieux, et en particulier les églises, serait de plein droit un lieu de refuge. Il est vrai que l'asile s'inscrit aussi dans la tradition judéo-chrétienne dans la mesure où la loi mosaïque l'institutionnalise par les villes " qui serviront de refuge aux israélites, aux étrangers et à quiconque réside parmi vous, pour y trouver asile quand il aura tué par imprudence ". Si les villes-refuges mosaïques n'avaient d'autre fonction que de protéger l'homicide par imprudence de la vindicte des familles victimes, Isaïe enjoigne le peuple d'Israël à " laisser séjourner les exilés de Moab " et d'être " le refuge contre le dévastateur ", donnant à l'institution de l'asile une portée comparable à sa fonction actuelle. Le lieu sacré est l'espace où l'ordre civil, l'ordre du monde, s'abolit au bénéfice de la protection du dieu. Le moyen-âge verra se développer une tradition chrétienne de l'asile, assumée par les institutions monachiques autant que par l'Eglise. Le droit canonique depuis le Code théodosien (IX 44 et 45) et le concile de Tolède de 638 garantissent ce droit d'asile religieux qui permettra à nombre de réfugiés de trouver un point d'appui lui permettant d'échapper à l'arbitraire de la justice féodale. Sans doute l'idée d'asile religieux repose sur la conscience de la précarité de la justice humaine face à la justice divine et sur la primauté du repentir et du pardon sur le châtiment. Mais l'asile religieux fera peu à peu l'objet de nombreuses restrictions et tombera en désuétude.

De nos jours, nul statut " asilaire " est reconnu aux édifices religieux, propriétés d'Etat en France, de sorte que l'asile que l'on y cherche ne peut être que symbolique : aucune autorité religieuse ne peut se prévaloir d'une inviolabilité autre que celles explicitement reconnues à tout citoyen par l'Etat de droit. Il en est de même pour l'asile diplomatique conférant aux ambassades un statut d'inviolabilité. Garanti par le traité de Westphalie (1648) qui consacre l'établissement d'ambassades permanentes, l'asile diplomatique repose sur l'immunité et l'inviolabilité accordées à l'ambassadeur et étendue donc aux locaux où il s'établit. Cependant, en dépit de son application en Europe aux 17e et 18e siècles, en dépit aussi de sa résurgence à l'occasion de la guerre d'Espagne ou de la répression de l'insurrection hongroise de 1956, l'asile diplomatique est jugée incompatible avec le principe de la souveraineté des Etats, encore que des traités internationaux entre Etats sud--américains prennent en compte la possibilité de trouver refuge auprès d'une ambassade

Ainsi la coutume de l'asile devient pour ainsi dire résiduelle et ne pourra être rétablie qu'à la faveur du cosmopolitisme des Lumières et en tant qu'instrument politique de l'instauration d'un droit public universel et de consolidation des démocraties naissantes. Ce qui ne veut pas dire que certains Etats ne servaient pas de lieu de refuge, en particulier lors des guerres de religions et à la suite des persécutions religieuses. Cependant le passage d'une pratique politique, souvent précaire, tactique et intéressée, d'un Etat à une situation juridique qui permettrait de faire sortir le droit d'asile des conjonctures politiques qui lui seraient favorables pour l'universaliser en tant qu'élément de droit.

L'idée de droit d'asile ne peut s'enraciner dans la conscience collective que dans la mesure où l'intériorisation du devoir d'hospitalité - qui est malgré tout un partage de l'usufruit de sa propriété, espace matériel de notre souveraineté individuelle - reste suffisamment forte pour ne pas être ébranlée par l'individualisme propre à la modernité. La subjectivité de celui qui s'arroge le loisir de refuser l'asile, au nom de son autonomie, de sa souveraineté rencontre ici l'exigence d'un droit universel, fondamental, à la sécurité dont l'étranger peut se réclamer en dépit de la distance sociale, politique et culturelle que l'on pourrait constater entre lui et nous. L'idée de droit d'asile se conjugue donc avec celui d'universalité et prend racine dans une relation de réciprocité : l'étranger qui cherche asile aujourd'hui pourrait bien, un jour, être notre hôte et nous accorder, à son tour, la protection que nous lui avions généreusement accordée. Dans cette réciprocité destinale, on peut déceler la conscience diffuse de notre propre précarité : tout pouvoir peut s'avérer tyrannique et nous pourrions, autant que l'inconnu qui se présente à notre porte, subir la vindicte des puissants. Notons toutefois que l'ancien régime connaît, et même assez largement, un devoir d'hospitalité, ou de protection, comme une composante du pouvoir féodal qui manifestait la souveraineté territoriale du suzerain.

Le droit d'asile, en l'espèce de l'asile religieux, affirmait l'autonomie du sacré et de l'autorité divine par rapport aux lois humaines. Le christianisme ne connaît point de faute qui justifierait le bannissement total de la communauté humaine note 8 : le crime serait de ne pas être capable d'accorder au criminel la latitude du repentir, et c'est sans doute dans l'espoir de laisser cette porte ouverte que les monastères et les églises témoignent volontiers d'une sollicitude, parfois mal comprise du pouvoir séculier, à l'égard des fugitifs, fussent-ils coupables de crimes. L'espace du sacré est donc un refuge, un lieu où l'errant trouve - en raison peut-être de notre condition commune de pécheur - cette paix sans lequel nulle conversion ne serait possible. C'est ainsi que fut justifié l'asile accordé à un adversaire déclaré de la chrétienté. Saint Jean Chrysostome, dans son homélie en faveur d'Eutrope, remarque que "celui qui sans relâche a combattu l'Eglise a trouvé en elle un refuge...voici une grande occasion de glorifier Dieu qui a permis qu'il tombât dans une telle extrêmité pour apprendre à connaître la puissance et la bonté de l'Eglise". note 9

Pour saint Augustin, il est préférable de prendre le risque d'héberger un pécheur que de refuser l'asile à un innocent. L'universalisme de l'hospitalité était d'ailleurs posé en principe par le concile de Carthage en 399. Il faut pourtant tenir compte que cet universalisme rencontre l'obstacle du morcellement politique de l'époque : le principe d'une inviolabilité du refuge se concrétisait plutôt par un répit au cours duquel la reddition pouvait être négociée avec les souverainetés locales qui accordaient aux institutions ecclésiastiques le droit d'asile comme plus comme un privilège que comme un droit. Les titres - "diplômes" et chartes de franchises - accordant le droit d'asile aux églises et aux monastères relevaient du droit coutumier, à portée locale, plus qu'ils ne mettaient en oeuvre un principe général. L'universalisme restait donc un principe éthique, et ne provenait pas d'un principe juridique. Même à l'apogée du droit d'asile chrétien, au 12e siècle, le droit d'asile "était considéré comme l'un des privilèges généraux dont bénéficiait les lieux sacrés comme conséquence de l'immunité locale qui préservait les églises de toute activité profane" . note 10

L'universalisme résidait, sur le plan idéologique, dans la conception chrétienne de la dignité humaine, pécheur mais amendable, pauvre et errant mais fils de Dieu, étranger mais frère, tandis que, sur le plan juridique et en l'absence de l'idée de droit uniformisé, il ne pouvait se concrétiser que par la multiplication des lieux reconnus comme de refuge. L'immunité dûe tant aux bâtiments qu'à la personne des ecclésiastiques relevait à la fois de la protection surnaturelle, en raison du caractère sacré du lieu, et de la protection juridique en ce qu'elle obligeait à la suspension des procédures pénales séculières.

En dépit de la catholicité de la morale chrétienne, les institutions religieuses bénéficiant de statut de refuge constituaient autant d'enclaves protégés de la juridiction séculière. L'asile religieux s'oppose en fait à l'universalisation du droit et se trouve donc en porte-à-faux avec sa propre prétention à l'universalité. Elle soustrait indifféremment au droit l'exilé et le criminel au nom d'un privilège ecclésiastique. De cette dérive vers des abus réels découla un affaiblissement graduel de la légitimité de l'asile religieux qui ne pouvait s'appuyer que sur un discours théologique assorti du traditionnel argument d'autorité. Un tel dispositif ne pouvait résister à la rationalisation du discours politique et juridique et tomba en désuétude bien avant la révolution française. Une argumentation rationnelle doit être développé si l'on veut étendre le bénéfice de l'asile à l'ensemble du corps social en en portant le principe dans le champ juridique.

L'asile religieux ne pouvait reposer que sur deux axes : la charité due à tout homme, fût-il pécheur et le devoir d'hospitalité propre aux sociétés traditionnelles et agraires. On peut y voir la persistance, dans la société féodale, de l'hospitalité antique, devoir sacré du maître de maison qui voyait en l'étranger un messager possible du divin. De même dans le christianisme, le fugitif, l'errant, le persécuté, comme le mendiant et le vagabond pouvait être l'image du Christ qui se présentait ex abrupto éventuellement pour éprouver la vertu de son hôte. La source de l'inviolabilité du lieu d'asile ne résidait pas dans un droit éventuel du fugitif, on ne pourra chercher dans l'asile religieux une quelconque préfiguration du droit libéral à la protection de l'Etat... ce qui fondait le devoir d'hospitalité et l'asile religieux résidait dans le caractère sacré du refuge : la demeure de Dieu était aussi la demeure du plus démuni des hommes. Cette conscience de la sacralisation de l'espace ainsi soustrait au pouvoir du prince pouvait déboucher sur une véritable superstition ou du moins sur la croyance en une vertu émanante du tabernacle qu'il suffisait de toucher, ou même d'approcher pour se voir protégé de la violence de la justice civile. Dans la pratique concrète, l'asile religieux fut formalisé au cours de négociations avec les autorités civiles aux termes desquelles les privilèges d'inviolabilité furent accordées aux édifices religieux.

Cette inviolabilité et ces privilèges ne pouvaient naturellement tenir dans le cadre du laïcisation progressive de la vie politique. Hormi la désuétude de l'asile religieux causée par les abus dont il faisait l'objet, la sécularisation du droit d'asile requiert de multiples préalables dont le premier est la reonnaissance de la liberté en droit du sujet. L'autonomie subjective permettait d'asseoir l'idée du politique comme régulation des volontés individuelles sous l'égide de l'Etat rendant nécessaire une rationalisation du discours politique et juridique. L'Etat ne pouvait plus se justifier par la tradition ou par la volonté divine, il se devait d'être fonctionnel et trouver sa raison d'être dans la recherche commune de l'intérêt général. Hobbes conçoit l'Etat comme un instrument de limitation de la violence sociale consécutive à la disparité des intérêts individuels. L'Etat hobbésien monopolise de droit l'exercice de la force. Cependant, même chez Hobbes, l'Etat se doit d'assurer la protection du citoyen, de lui donner un cadre de vie propice à son épanouissement matériel, faute de quoi on retomberait dans l'état de nature, dans la violence d'une révolte. Même s'il monopolise la force, même si son pouvoir ne rencontre d'autre limite que la résistance des citoyens, l'Etat doit freiner sa puissance et sauvegarder les droits fondamentaux (en particulier, celui de ne pas être abitrairement arrêté) s'il veut conserver quelque légitimité.

Philippe Segur a décrit l'asile religieux comme un "droit-lisière" qui, "par son caractère propre d'universalisme et de personnalisme, par son juridisme très accusé"..."tendait vers l'homogénéisation de ses pratiques", note 11 mais qui rencontrait l'obstacle du pluralisme institutionnel propre à la société féodale. Cependant c'est moins la laïcisation de la société que la confessionnalisation du pouvoir civil qui démentèlera l'institution asilaire. L'institution de l'asile religieux introduisait la légitimité d'une transgression d'une frontière sociale, celle qui séparait la société civile, séculière - encore imparfaitement imprégnée de christianisme - et l'ordre religieux défendue et garantie par l'Eglise. Une zone de tension entre le pouvoir séculier et le pouvoir religieux se dessinait dans un contexte politique incertain où le pouvoir séculier cherchait sa légitimité dans le discours théologique d'une hiérarchisation sociale voulue par Dieu tout en s'opposant à la volonté hégémonique de la papauté, notamment en matière de l'investiture du clergé.

Si l'asile religieux protège le fugitif des abus de la vindicte profane, l'homogénéisation de la chrétienté au cours duquel émergent les états confessionnels de l'ancien régime, abolit de fait ce pluralisme institutionnel. Face à l'appareil répressif du dogmatisme clérical, l'hérétique ne disposera d'aucun refuge tant que le mouvement de Réforme protestante n'aura pas été intériorisée par un certain nombre d'Etats. L'asile sera pris en charge directement par le prince qui, tout en ne prétendant à aucune universalité, donnera aux persécutés des deux camps la possibilité de trouver asile en des lieux plus sûrs. L'idée d'un pluralisme confessionnel, d'une autonomie de la fonction politique par rapport à l'intégration religieuse, de la tolérance reconnue de droit aux dissidents resteront en gestation durant les guerres de religion. Abusivement célébrée comme l'émergence des droits humains, l'Edit de Nantes n'avait d'autre portée que celle d'un compromis politique et stratégique bénéficiant, en fin de compte, au pouvoir royal ; cependant, l'idée d'une légitimité du pluriconfessionalisme au sein d'un Etat préparait l'idée d'une laïcisation du pouvoir, et avec elle, l'idée d'un Etat de droit, reconnaissant l'autonomie du sujet par rapport à la volonté personnelle du prince.

Dès lors, le concept d'un droit d'asile dégagé de sa gange confessionnelle ne pouvait émerger qu'avec l'Etat de droit fondé sur le contrat social, passé entre individus libres et souverains, par nature, acceptant conventionnellement de déléguer au représentant du peuple une partie de leur souveraineté en vue de la sécurité mutuelle et du bien commun. L'idée de droit humain, sans laquelle l'Etat démocratique ne pourrait trouver sa légitimité, repose sur le constat de la rationalité, de l'autonomie et de l'égalité de tous les hommes. Elle s'inscrit dans une optique universaliste selon laquelle la raison est partagée par l'ensemble de l'humanité, dont chaque individu, quel que soit sa condition sociale, son origine ethnique et familiale, dispose des compétences minimales pour porter un jugement raisonné sur les faits politiques ou les question éthiques.

Mais l'universalité de la raison ne préjuge rien de la pluralité des opinions : certes, une homogénéisation de la pensée politique, concrétisée dans une volonté générale, s'avère nécessaire à la cohésion sociale, mais cette conciliation des opinions, cette arraissonnement des esprits en un savoir philosophico-politique partagé ne s'acquiert nullement par la contrainte. Etant rationnels, les hommes sont, de fait, sensibles aux argumentations logiques et restent accessibles à la rhétorique capable, non sans machiévélisme, de se jouer des passions humaines pour arriver à ses fins. La diversité des opinions, la pluralité des confessions, est donc un donné dont la démocratie ne peut faire abstraction sauf à se dénier comme démocratie. L'Etat de droit ne pourra faire l'économie de la reconnaissance institutionnalisée des droits fondamentaux et la liberté de conscience, qui passe entre autres par la laïcité, c'est-à-dire par la séparation de l'Etat et des pouvoirs religieux.

La question qui se pose est celui de l'insertion du droit d'asile dans ce dispositif.

L'esprit des Lumières s'oppose aux déterminations particularistes de l'être social l'universalité d'une humanité transparente à elle-même. La raison, comme autonomie de la pensée et capacité de jugement, devient le seul critérium définissant le sujet de droit. Dès lors, on ne pourra plus accepter comme allant de soi les clivages propres aux sociétés féodales qui attribuait à la naissance la légitimité d'un statut privilégié. Le mérite, seulement le mérite, autorise la revendication du rang, tandis que le pouvoir ne trouve source que dans un processus institué de délégation. Dès lors, tout sujet se trouve inséré dans une double relation d'égalité et de réciprocité : nos droits sont égaux, ton droit est mon droit, ton devoir est aussi le mien. Dès l'origine, l'esprit des lumières fait fi des frontières : la liberté s'étend à l'humanité de sorte que la jeune république française de 1791 fait prévaloir radicalement le droit du sol, que la reconnaissance du droit du sang de ceux "qui sont nés hors de France d'un père français" tempère à peine. La xénophilie cosmopolite trouvera rapidement ses limites dans l'émergence de l'Etat nation affirmant la territorialité de son pouvoir en conjuguant étroitement citoyenneté et nationalité. Le rêve d'un Anacharsis Cloots ou d'un John Barlow d'une citoyenneté nomade note 12 subordonnant l'appartenance nationale au partage du projet d'émancipation sociale et politique ne résista pas à la méfiance générée par l'hostilité du "parti de l'étranger", c'est-à-dire de la noblesse émigrée, à l'égard de la Révolution. Cependant l'Etat républicain n'allait pas se couper totalement de l'universalisme des Lumières : la ligne de partage glissait certes vers un nationalisme chauvin et laissait entrevoir le corollaire de l'expansionnisme conquérant et colonial, mais elle laissait filtrer, par l'exercice du droit d'asile, les étrangers en butte aux tyrannies. La révolution se voulait, se devait être, mondiale sinon elle n'avait pas de sens, et ne pouvait se revendiquer de l'universalisme imprégnant la déclaration des droits de l'homme. Le droit d'asile institué constitutionnellement en France dès 1793 s'avérait avant tout un acte de solidarité politique avec les forces progressistes.

Ainsi, l'asile républicain - que l'on distinguera de l'asile politique tel que défini par les conventions de Genève - est l'affirmation résolue, à la face du monde, d'un projet politique, partiellement concrétisé sur un territoire émancipé qui s'engage, moralement et politiquement, à soutenir, par l'hospitalité et la protection active, les forces de résistance à l'oppression, d'où qu'elles viennent. Ce n'est donc point suivant la ligne de fracture inter-nationale note 13 que la lisière constitutive du droit d'asile se dessinera dans l'espace politique : la ligne de partage traversera les nations selon une faille supranationale séparant les reliquats de l'ancien régime et les forces républicaines... A sa manière, la France devenait le sanctuaire d'un culte nouveau, celui de l'humanité émancipée, au sein duquel on pouvait, en toute légitimité, chercher asile.

D'emblée, l'asile politique pose la question de la territorialité d'un processus politique. En effet, en tant qu'expression institutionnelle d'un changement de rapports sociaux, la révolution politique, ou l'émancipation d'une communauté, s'inscrit nécessairement dans un champ territorial délimitant la zone d'application des droits nouvellement acquis. C'est en référence à cette territorialité que la conscience de l'identité politico-sociale, dont le corrolaire est la définition de l'altérité géopolitique, surgit et s'exprime juridiquement. L'exilé sera celui qui se trouvera exclu d'un territoire et cherchera asile en un lieu-sanctuaire. Dès lors l'institution juridique du droit d'asile marque sans équivoque la spécificité et l'opposition du territoire émancipé par rapport au reste des nations. D'une certaine manière, l'octroi d'asile, exercé par l'Etat, remet en jeu la stabilité des rapports internationaux : qu'en sera-t-il de la paix mondiale si tout un chacun pouvait héberger, abriter et protéger, les subversifs et les opposants ? La réponse ne pourra être que kantienne : universalité du droit, réciprocité des devoirs, autonomie du juridique et constitution d'un droit cosmopolitique... les conditions de la paix universelle.

On comprendra que Kant pose la problématique de l'asile dans le contexte d'une réflexion sur le droit international et sur les conditions politico-juridiques d'une paix universelle. Ce questionnement dérive pourtant d'une interrogation éthique qui mettra en avant la nécessité d'une rationalisation de l'agir humain qui sera évaluée à l'aune de l'impératif catégorique. Le principe d'universalisation énoncé oblige à l'examen des conséquences d'une universalisation concrète de la maxime proposée, ce qui, presque immédiatement, amène à considérer comme de droit la réciprocité du devoir et du droit. Ce que l'autre exige de moi, je l'exige d'autrui, de sorte que toute maxime morale sera, nécessairement, universalisable. Dès lors, c'est dans les conséquences de cette universalisation que se démarquera le juste de l'injuste avec la conséquence que je suis contraint d'admettre la légitimité de la réciprocité d'une décision éthique. Ce que j'impose, en tant que souverain, à un autre nation - à savoir l'octroi d'asile à ses ressortissants en rupture de ban - pourra m'être imposé par cette dernière de sorte que le droit d'asile, devenu étatique, se généralise dans un jeu de reconnaissance réciproque. Les Etats s'accorderont mutuellement le droit d'accorder l'hospitalité à un ressortissant étranger- il faudra pratiquement deux siècles pour parvenir à ce résultat - par le biais de conventions internationales définissant les conditions et les limites de l'asile politique.

Cette universalisation se paye cependant du déplacement de l'hospitalité, qui était un devoir privé, vers la sphère publique avec en corollaire l'institutionalisation du droit d'asile qui, dans la mesure où l'Etat monopolise l'octroi du statut de réfugié, sera appréhendé comme une prérogative de l'Etat dispensateur du droit. Dans cette perspective, l'exilé ne pourra se prévaloir d'un droit au refuge et se contentera d'un statut de sujétion, à titre de bénéficiaire d'une libéralité octroyée par les pouvoirs publics. Cependant, le droit émerge, pour le réfugié, à partir des conventions internationales régissant les modalités de l'octroi de l'asile politique, sur la base d'un accord mutualiste et fédéral entre les états associés dans un projet commun de sauvegarde des droits fondamentaux. Le statut de réfugié, même accordé dans des conditions strictes et restrictives, reste une garantie juridique qui, il nous faudra bien le reconnaître, se voit considérablement fragilisée, voire délibérément violée, par l'Europe, à la suite des accords de Schengen et de la convention du Dublin.

Il faut mesurer les conséquences des restrictions du droit d'asile non pas seulement dans sa portée sociale, mais aussi, et surtout, sur les fondements mêmes, éthico-politiques, de la démocratie et de l'Etat de droit. En effet, la perpétuation de la tradition de l'asile, le respect de la réciprocité du droit, l'universalisation éthique du devoir d'hospitalité, sous-jacentes à la volonté affirmée par les états démocratiques d'être aussi un refuge pour ceux dont les droits fondamentaux sont déniés sont des réponses fondamentales à la question de l'autonomie de l'individu par rapport aux Etats.

L'Etat de droit, le contrat social, résout par la délégation de la souveraineté aux représentants du peuple, l'antinomie entre la subjectivité individuelle et l'universalité des principes éthiques. En effet, hors de toute universalisation, qui définit un devoir-faire transcendant les volontés particulières par une rationalité du jugement moral, l'individu reste enserré dans un tissu relationnel marqué par la violence. En monopolisant la violence, et le discours instituant le droit, l'Etat offre, malgré, ou même en raison de son caractère totalisant, un espace de protection garantissant à chacun la sécurité dont il ne pourrait jouir dans l'état de nature. L'homme politique - le citoyen - se voit paradoxalement conférer une liberté d'autant plus grande que l'Etat auquel il délègue sa souveraineté repose sur un accord consensuel, contrat social, définissant et étayant la volonté générale. Le caractère consensuel de l'Etat de droit ne doit pas être confondue avec l'exercice d'une souveraineté directe, démocratie non médiatisée, qui s'avère dans les faits l'expression de la force brute des masses. La représentation, dévolution de la volonté du peuple entre les mains du législateur, introduit entre le peuple et l'Etat souverain une césure exprimant la discordance entre la volonté générale telle que les subjectivités particulières se le représentent lors de la fondation historique de l'Etat de droit et telle qu'elle s'exprime dans la constitution (comme phénomène socio-politique plus que comme expression juridique de la loi fondamentale d'un Etat) et l'exercice concret de la souveraineté, mise en oeuvre par les pouvoirs législatifs et exécutifs. L'Etat universalise, historiquement, les consciences individuelles en établissant les normes du vivre-ensemble, mais cette universalisation, qui est territorialisée et historicisée reste relative : le droit se concrétise par et pour une citoyenneté, c'est-à-dire qu'il requiert une définition, nécessairement restrictive et exclusive, de qui bénéficie de la protection de l'Etat et du contrat social. Ainsi l'espace du droit s'inscrit dans une frontière, qui peut être sociologique aussi bien que géographique. La démocratie, comme processus historique, concrétise qu'imparfaitement l'universalité du droit : des catégories entières de la population, catégories de plus en plus restreinte à mesure des luttes et du progrès historique de la démocratie, restent exclues de la citoyenneté : même au coeur de la modernité, esclaves, tiers-état, prolétariat, femmes, mineurs d'âge, étrangers, minorités ethniques ou religieuses peuvent se voir rélégués dans la sphère privée, assujettis dans des relations de domination sociale ou d'exploitation économique. Mais par delà cette frontière sociologique se dessine la territorialité géographique du droit. Bien que s'appuyant sur l'universalisme des Lumières, le droit ne s'exerce que dans les limites strictes de la nation par lequel la souveraineté populaire s'exprime historiquement. Dans la mesure où l'Etat - comme institutionnalisation de la souveraineté - s'exprime dans un cadre géographico-culturel, devenant ainsi le vecteur de l'identité collective d'un peuple, il se confond avec l'idée de nation. Cette dernière ne peut que difficilement revendiquer d'autre statut que celui de concept idéologique : en effet, la nation ne rend compte de la réalité sociologique qu'à travers le discours constitutif d'elle-même dans lequel la volonté générale croit se retrouver en faisant abstraction des clivages et des contradictions internes. L'idée de nation occulte les césures qui divisent le peuple et perpétuent les relations d'exclusion, en particulier, elle occulte la frontière sociologique de la citoyenneté tout en renforçant les mécanismes d'exclusion du droit tout particulièrement lorsque l'idée de nation repose sur le "droit du sang". Identifier la citoyenneté à la nationalité, et cette dernière à la filiation revient à instituer un redoutable mécanisme d'exclusion du droit : l'apatride, comme le nomade, le migrant sont à jamais rélégué dans le statut d'étrangeté, statut irréductible à moins d'instituer une procédure de "naturalisation". L'étranger est donc, en regard de la nation, celui qui ne peut bénéficier des droits du citoyens sauf à être accueilli comme hôte et éventuellement protégé comme réfugié. Il appartiendra à la nation démocratique de définir en toute clarté le statut de l'étranger de sorte à lui conférer les limites de ses droits et de ses devoirs.

Ces dispositions s'inscrivent dans un mouvement d'émancipation collective qui conjugue l'identification à la cause nationale à la recherche de l'autonomie démocratique. Cette dernière n'est, dans cette perspective, garantie qu'à travers la souveraineté nationale. La multiplication des Etats-nations et l'acceptation, condition de la paix universelle, de la souveraineté des Etats conduit à réinstaurer l'état de nature dans le champ international : en effet, aucune instance souveraine supra-nationale ne peut contrôler et limiter l'autonomie des Etats de sorte que la seule voie envisageable, pour éviter les effets de domination des Etats les plus puissants, est la confédération dans laquelle chaque Etat accepte de transférer une partie de sa souveraineté aux mains d'un tiers supra-national. La question de l'asile doit aussi se comprendre dans cette perspective comme une réponse concrète au "développement inégal des démocraties", les états les plus avancés servant de refuge aux persécutés politiques et de sanctuaire pour les luttes démocratiques à vocation universalisante. Dans un certain sens, le droit d'asile s'oppose au principe de non-ingérence, en ce que le territoire-refuge offre un point d'appui, comme zone de repli, aux mouvements d'émancipation. C'est pourquoi les conventions internationales et les dispositions législatives relatives à l'octroi du droit d'asile limitent, pour des raisons diplomatiques - sauf volonté d'Etat particulière - les libertés politiques des réfugiés, qui ne peuvent - le plus souvent - poursuivre leurs activités politiques dans un pays tiers.

Ainsi le droit d'asile s'exerce comme un droit humanitaire, c'est-à-dire qu'il vise à la protection de l'exilé non pas en raison de son engagement mais en raison de ses droits fondamentaux. L'universalité de ces droits, reconnues consensuellement par la communauté internationale, permet l'exercice de la réciprocité en matière d'asile ; en outre, elle fonde précisément l'asile comme droit, puisque c'est précisément la violation de ces droits exprimés dans la déclaration universelle de 1948 qui définit l'exilé comme réfugié de plein droit. C'est en raison de cette assise que le droit d'asile apparaît plus comme un droit fondamental de l'individu, affirmé par l'article 14 de la déclaration universelle, que comme une liberté discrétionnaire des Etats.

Pour Kant, le droit d'asile constitue l'essentiel du droit cosmolitique et la seule source de restriction de la souveraineté de l'Etat dont l'autonomie sur la scène internationale découle de l'autonomie des citoyens et ne peut être restreint sinon dans le cadre d'une juridiction conventionnelle établie mutuellement entre les Etats. Cette restriction de la souveraineté est étroitement limitée à la reconnaissance d'un droit réciproque à l'hospitalité qui comprend les composantes complémentaires du droit d'asile proprement dit et un droit de visite qui interdit de considérer le voyageur pacifique comme un ennemi.

Ainsi, " le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l'hospitalité universelle ". Cet " article définitif  " énonce le droit à l'hospitalité comme condition de l'émergence de la paix universelle. La réciprocité du traitement hospitalier et la garantie de ne pas voir ses ressortissants traités en ennemis du fait de leur présence en territoire étranger est, pour Kant, une condition essentielle à l'union contractuelle, fédéraliste, d'Etats libres. Un lien se trouve donc établi entre le respect des droits des personnes et la qualité des relations interétatiques, liens qui est le corollaire de la démocratisation des Etats, qui font du bonheur et de l'autonomie de leurs citoyens, leur préoccupation centrale et la source de leur stabilité.

Kant limite cependant le devoir d'hospitalité, mais cette limitation n'est pas tant la marque d'une quelconque xénophobie que le constat des abus, par l'Occident, de l'hospitalité d'autrui : " l'hospitalité signifie le droit pour l'étranger ...de ne pas être traité en ennemi. On peut le renvoyer, si cela n'implique pas sa perte, mais aussi longtemps qu'il se tient tranquillement à sa place, on ne peut le traiter en ennemi. L'étranger ne peut prétendre à un droit de résidence (cela impliquerait un traité particulier de bienfaisance qui ferait de lui, pour un certain temps, un habitant du foyer) mais à un droit de visite : ce droit, dû à tous les hommes, est celui de se proposer à la société, en vertu du droit de la commune possession de la surface de la terre, sur laquelle, puisqu'il est sphérique, ils ne peuvent se disperser à l'infini, mais doivent finalement se supporter les uns à côté des autres et dont personne à l'origine n'a plus qu'un autre le droit d'occuper tel endroit " ... droit au voyage, droit de visite, droit du touriste pourrait-on dire, car Kant précise bien qu'il s'agit de garantir la liberté d'user de la surface du globe terrestre et que " l'autorisation accordée aux arrivants étrangers s'arrête à la recherche des conditions de possibilité d'un commerce avec les anciens habitants ". C'est en vain que l'on cherchera une légitimation de la colonisation et de l'expension impérialiste : " Si l'on compare à cela la conduite inhospitalière des Etats civilisés, et particulièrement des Etats commerçants de notre partie du monde, l'injustice, dont ils font preuve, quand ils visitent des pays et des peuples étrangers (visite qui pour eux signifient la même chose que la conquête) va jusqu'à l'horreur "... et de dénoncer sans équivoque aucune l'introduction de troupes étrangères, l'oppression des indigènes et l'esclavage.

La restriction apportée par Kant au droit de visite, qui exclut l'idée d'une installation sur le territoire étranger (laissant cependant la liberté aux états de convenir d'une politique d'accueil volontaire de migrants) doit en conséquence être comprise comme une condamnation de l'expansionnisme colonial qui n'exclut nullement l'hospitalité due aux migrants qui seraient en quête de commerce établi sur un pied d'égalité.

La position de Kant ne porte pas spécifiquement sur l'asile politique et doit plutôt être comprise comme une critique de l'expansionnisme colonial qui représente une menace pour la paix universelle. Kant n'exclut nullement la possibilité d'établissement de populations migrantes à la condition que celle-ci rencontre l'accord des peuples hôtes ; il n'exclut donc aucunement une morale de l'hospitalité, qui ramenée à la dimension d'une maxime universelle, contribue sans équivoque à la préservation de la paix mondiale. Tout étranger en visite, pacifique, ne pourra donc être traité en intrui, voire en ennemi. Cette maxime découle de la conscience de la finitude de l'environnement humain qui oblige les peuples à une convivialité non conquérante autant qu'elle interdit l'isolement et le repli sur soi.

La conscience planétaire, qui résulte des échanges soudant les hommes en communauté, modifie la perception du droit en la détachant de la proximité géographique et culturelle : " l'atteinte au droit en un seul lieu de la terre est ressentie en tous " et fonde l'idée d'un droit cosmopolite et, avec elle, un double devoir d'ingérence, l'humanitaire et juridique, et d'hospitalité.

Le devoir d'hospitalité chez Kant concerne plus la personne que l'Etat et n'a pas à proprement parler de nature politique : il s'agit moins de préserver un sanctuaire à l'intention du réfugié politique que d'affirmer l'universalité et la réciprocité d'un droit naturel qui est de circuler librement sur la surface terrestre et de commercer avec ses semblables.

On peut se demander dans quelle mesure le droit d'asile politique pourrait trouver sa source dans le droit naturel. Il est vrai que l'errant, le fugitif, le sans-abri disposent du droit élémentaire au bien-être minimal, mais cette obligation qui nous incombe de secourir la personne en détresse n'entraîne pas nécessairement, de la part des pouvoirs publics, l'obligation d'accueillir, sur son territoire, un fugitif en rupture de ban. On pourrait se prévaloir de l'universalité du droit pour précisément appuyer les Etats dans l'exercice de leur pouvoir répressif en extradant le fugitif. Pour qu'un droit d'asile puisse apparaître, il faut au préalable que soit définies, éventuellement à partir du droit naturel, les limites de l'exercice du pouvoir d'Etat, hors desquelles l'Etat perdrait sa légitimité. Le problème réside cependant dans le peu de crédit accordé au jusnaturalisme, qui ne résiste pas à la critique sociologique pour lequel le droit naturel est institué, et historiquement déterminé, tout autant que le droit positif. Dès lors, l'asile politique ne peut apparaître dans sa légitimité que dans la mesure où le pouvoir politique d'un Etat rencontre des limites de droit. Elle ne peut être concevable que dans un cadre définissant les normes de l'exercice du pouvoir politique, normes englobant non seulement le droit positif mais aussi le droit constitutionnel tel qu'il s'exprime, dans des formes différenciées, par les constitutions nationales. Un tel dispositif métajuridique ne peut apparaître que par le biais d'une cosmopolitique considérant chaque état comme personne morale pouvant convenir avec ses voisins des normes restrictives de l'exercice de la souveraineté. Ce qui revient à dire que l'Etat ainsi auto-limité abandonne sa prétention à considérer son intérêt comme la norme absolue du droit, qui sera recentré sur le sujet dont l'autonomie et la liberté seront affirmées comme finalité du politique. Historiquement, ce conventionnalisme métajuridique prend la forme de revendications déclaratives qui, au 18e siècle, se situèrent clairement en rupture avec l'ancien régime ou avec l'ordre colonial. De l'indépendance des Etats-unis à la Convention républicaine, les droits de l'homme restent des projets, à vocation universelle, portés par une nouvelle forme d'organisation étatique : la république concrétisait politiquement cet idéal de égalité sociale et de liberté politique. Cependant les conditions historiques de l'émergence de ces Etats qui se constituèrent dans la rupture anticoloniale, dans un cas, mêlée d'expansionnisme territorial, et dans la terreur politique dans le cas de la République française ne semblaient pas particulièrement favorables à la concrétisation effective des droits humains. Ce n'est que dans la généralisation des principes démocratiques, qui s'imposèrent au fil du temps et à la faveur de la domination occidentale, comme une évidence que la déclaration des droits humains put être acceptée internationalement comme ligne de conduite. Mais l'engagement pris par les Etats cosignataires de la déclaration de 1948 n'est que de pure forme : déclaration d'intention et non convention contraignante, la déclaration universelle ne peut prétendre à être autre chose qu'un critère d'évaluation éthique du comportement des Etats. Ce n'est que dans le cadre de conventions régionales, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, que les citoyens disposent de possibilités effectives de recours juridique. Cependant, la déclaration universelle - par sa cohérence philosophico-politique et du fait de l'adhésion quasi universelle dont il a fait l'objet - garde sa valeur en tant qu'instrument de légitimation (ou délégitimation) morale d'un Etat de sorte qu'elle peut être considérée comme un référenciel idéologique permettant de cerner les conditions de l'asile politique.

Si nous faisons abstraction de sa composante religieuse, le droit d'asile est avant tout une possibilité de résolution, par le biais d'une convention juridique, d'un problème politique provoqué par l'existence de réfugiés consécutive à la seconde guerre mondiale. Dans cette perspective on sera amené à écarter tout jusnaturalisme de la problématique du droit d'asile, cependant ce dernier s'appuye sur un ensemble de principes éthiques universalisables, même si, l'existence même de l'asile politique, comme fait social, témoigne du fossé historique qui sépare entre l'idéal universaliste des droits humains et la réalité historique et politique mondiale. La déclaration universelle des droits de l'homme n'est, de fait, pas contraignante sur le plan juridique, mais elle reste la référence essentielle pour justifier de la légitimité d'un combat politique. C'est dans cette perspective historique que nous devons pouvoir affirmer que l'idée du droit d'asile dépasse le stade d'une convention juridique qui serait purement conjoncturelle. L'asile est un droit qui ne relève pas seulement du bon plaisir des Etats qui, politiquement, trouveraient opportun d'accueillir les réfugiés ou de les exclure de leur protection. En fait, l'asile politique s'insère dans le mouvement historique de lutte pour les droits humains. La déclaration universelle relève en effet sinon du projet politique, du moins un ensemble de principe éthique sous-tendant et légitimant un projet politique. Elle s'affirme comme instrument idéologique, théorique et philosophique, d'une lutte constante, se déroulant par delà les clivages nationaux et sociaux, pour la liberté et l'autonomie des individus et leur bien-être matériel (c'est-à-dire pour les conditions matérielles de leur épanouissement biologique). Liberté, autonomie et sécurité peuvent, être considérées comme une constante psycho-sociale de motivation de l'agir humain et en conséquence constituer la base théorique d'un jusnaturalisme repensé. C'est dans cette perspective historique, comme projet d'émancipation et de lutte pour les droits humains, que l'asile politique trouve, dans tous les cas, sa légitimité qui découle précisément du fait historique de la non-concrétisation des droits humains. La situation est en apparence paradoxale : l'asile politique devient un droit universel en raison même de l'absence d'universalité du droit. En fait, l'asile politique apparaît clairement comme une condition essentielle de l'universalisation des droits humains, qui restent, pour une grande partie de l'humanité, à conquérir. Dès lors, tout combat, même transgressif, pour la concrétisation du droit d'asile trouve, dans la déclaration des droit de l'homme, et dans la raison historique, sa légitimité de sorte que nous pouvons affirmer que l'asile politique est un droit qui touche non seulement les Etats mais aussi, et surtout, les individus. Pour les premiers, il importe cependant de ne pas l'oublier, le droit d'asile relève du droit positif, conventionnel, international (institué entre les nations) tandis que pour l'individu, l'asile politique relève d'une légitimité historique et éthique s'inscrivant dans le combat universel - méta-national (par delà l'idée de nation) - pour la liberté et la dignité humaine.


notes

note 1. Au printemps de 1993, environ 4 millions de personnes établies en ex Yougoslavie ont reçu une aide de UNHCR. Entre 1991 et 1993, 670.000 personnes ont quitté les républiques de l'ex-Yougoslavie pour se réfugier dans d'autres Etats. entre le dernier trimestre 1992 et le premier trimestre 1993, le nombre de personnes déplacées de l'ancienne Yougoslavie s'est accru de deux millions. La plupart des personnes bénéficient d'arrangement spéciaux, comme un statut de "protection temporaire", et constituent des réfugiés de facto en dehors de la procédure régulière d'octroi du statut de réfugié politique. voir, Le front du refuge, Bruxelles, éd. de la démocratie, 1994, p. 39

note 2 P. SÉGUR, la crise du droit d'asile, PUF, 1998, p. 115-116

note 3 Cette question a fait explicitement l'objet, à partir de l'oeuvre de Hannah Arendt, qui a mis en évidence cette précarisation de la condition humaine dans ses recherches sur le totalitarisme, d'un colloque organisé par l'Université ouvrière de Genève, en 1997. Cfr : MARIE-CLAIRE CALOZ-TSCHOPP, dir., Hannah Arendt, les sans-Etat et le droit d'avoir des droits, éd. L'Harmattan, 1998.

note 4 D. MOTCHANE, Sans papiers : des critiques de mauvaise foi, in Le Monde, 11 juillet 1998

note 5 AMNESTY INTERNATIONAL, Les droits de l’homme n’ont pas de frontières, EFAI, 1997, p. 118 et sq

note 6 cfr Le Soir, 7 août 1998, p. 17

note 7 NIMBY " Not In My Back Yard " - attitude de riverain refusant la proximité d’une nuisance consécutive à des travaux d'utilité publique.

note 8 Les peines ecclésiastiques de l'anathème et de l'excommunication - l'exclusion de la communauté des croyants - restaient rémissibles et l'inviolabilité du refuge était garantie même aux excommuniés.

note 9 Philippe Ségur, la crise du droit d'asile, PUF, 1998, p. 57

note 10 Philippe Ségur, o. c. , p. 64

note 11 Philippe Ségur, o. c., p. 84

note 12

"Je suis persuadé que lorsque la société se trouvera érigée sur le pied qu'il faut, les citoyens d'un Etat quelconque regarderont les citoyens de tout autre Etat comme leurs frères et comme leurs camarades, citoyens du monde, et, dans ce cas, ceux qu'on appelle des étrangers, lorsqu'ils s'établiront parmi eux, n'auront qu'à simplement déclarer leurs intentions de résidence pour obtenir les titres nécessaires à tous les droits dont jouissent les natifs"
(J. Barlow, Archives parlementaires, Tome 62, p. 594, 34e annexe, 17 avril 1793, cité par D. Bensaïd, le pari mélancolique, éd. Fayard, p. 193)

note 13 à lire littéralement, "entre les nations", et non comme "méta-national", comme le sens usuel du terme international pourrait le laisser penser.


© P. Deramaix, 1997 - 2014
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