passions de l'âme et les affects du corps

notes sur "les passions de l'âme" de Descartes

Patrice Deramaix

"L'action et la passion ne laissent pas d'être toujours une même chose qui a ces deux noms, à raison des deux divers sujets auxquels on peut le rapporter". Ces mots définissent une dialectique du corps, où l'événement est à la fois cause, donc action, et causé, donc passion, et telle action, en ce qu'il trouve sa cause ailleurs qu'en elle-même, peut être considérée comme passion, tandis que toute passion, en ce qu'elle est émotion, du corps ou de l'âme, peut être considérée comme action "au regard de celui qui fait qu'il arrive".

Méthodique, au sens le plus cartésien du terme, le traité sur "les passions de l'âme" (note 1) embrasse la totalité de la nature humaine et considère successivement les motions du corps, aux fins de les distinguer des passions et fonctions de l'âme. Soucieux d'éviter les confusions, Descartes considère corps et âme dans leur autonomie réciproque. Il entend élucider en physiologiste les fonctions corporelles qu'il attribue au seul corps... L'organisme humain, disséqué, analysé, étudié à la lumière notamment des decouvertes de Harvey, devient un réseau complexe de circulations de fluides divers, qui dilatés et contractés aux rythmes du coeur, agissent sur les muscles, transportent sucs et nutriments... dans la physiologie, les nerfs occupent une place essentielle, quoique encore mal élucidée : les esprits animaux - ces "parties du sang très subtiles" qui pénètrent dans le cerveau, qui "n'ont point d'autre propriété sinon que ce sont des corps très petits et qui se meuvent très vite" et pénétrant dans les muscles par l'intermédiaire des nerfs, "meuvent le corps en toutes les diverses façons qu'il peut être mû" - restent peu connus. Descartes a constaté, lors de ses dissections, le lien étroit entre les circuits nerveux (et plus particulièrement le nerf optique) et le cerveau. Ce dernier recueille les diverses sensations (sons, odeurs, saveurs, chaleur, douleur, faim, soif, et "généralement tous les objets de nos autres sens extérieurs que de nos appétits intérieurs") et peut susciter sans l'entremise de l'âme des mouvements involontaires, tels les réflexes.

Le corps acquiert en conséquence une autonomie suffisante pour permettre la vie, de sorte, que ce qui cause la mort est moins le départ de l'âme que la corruption du corps. Le corps est donc un automate, mû par les forces complémentaires ou antagonistes des fluides qui y circulent sous l'action du coeur.
Il nous est donc "aisé de connaître qu'il ne reste rien en nous que nous devions attribuer à nore âme sinon nos pensées ", lesquelles sont de deux genres : les actions de l'âme et ses passions. Actions sont nos volontés "à cause que nous expérimentons qu'elles viennent directement de notre âme et semblent ne dépendre que d'elle" et l'on peut considérer ces "perceptions ou connaissances qui se trouvent en nous" comme passions dans la mesure où notre âme "les reçoit des choses qui sont représentées en elle".

La volonté, clef de l'âme.

La volonté est double : agissant sur l'âme, comme la résolution mentale ou, agissant sur le corps, comme la volonté d'accomplir un acte. Dans un cas comme dans l'autre, elle est perçue. La perception du vouloir et le vouloir lui-même sont inséparables, de sorte que Descartes assimilera la perception de la volonté à la volonté elle-même. L'imagination, volontaire, relève aussi de l'action, tandis que la rêverie, ou le songe, sont des passions involontaires de l'âme.

La volonté semble être le critère discriminant qui permet à Descartes d'attribuer telle fonction à l'âme plutôt qu'au corps. Il existe bien des événements mentaux indépendants de l'âme : la rêverie, le songe, en ce que "notre volonté ne s'emploie point à les former" ne peuvent être "mises au nombre des actions de l'âme", encore que quelques unes de ces imaginations soient des passions de l'âme. Ces passions de l'âme, qui se meut ainsi sans le vouloir, lui viennent "par l'entremise des nerfs". Descartes établit ainsi une connexion physique entre l'âme et le corps. La dualité humaine se montre ainsi paradoxale car, si l'âme procède d'une volonté qui n'a rien de matérielle, les actions qu'elle accomplit, mais aussi les passions qu'elle subit, s'enracinent dans la physis. Les perceptions viennent des sens, canaux qui relient le monde à la conscience. D'autres canaux - parcourus par les esprits animaux - permettent de traduire les volitions en actes impliquant le corps en perpétuel mouvement. Emotions et motions se conjuguent pour conférer à l'âme une dimension plus corporelle qu'il ne le paraît de prime abord. Quel est en dernière analyse le lieu secret de cette connexion ? Intuitivement Descartes cherche dans le cerveau l'organe permettant ces échanges fluidiques, car, pour que l'âme puisse être mue par le corps passionné, il faut bien qu'une matière, corporelle, agisse sur l'immatériel. Descartes fut-il sensible à cette aporie ? En effet si l'immatérialité de l'âme se voit ainsi transbordée d'un rive à l'autre des passions sans qu'elle puisse intervenir et si ces passions sont d'origine corporelle, qu'en est-il de cette immatérialité qui, paradoxalement, semble obéir aux lois de la mécanique.

Le paradoxe de la détermination corporelle de la volonté

La conscience cartésienne est avant tout une conscience percevante : plus qu'actrice elle est spectatrice de ces mouvements animaux qui ébranlent aussi bien le corps que l'âme. Perceptions, émotions, sentiments, sont de la même famille : celle de ces événements que l'on subit parce qu'ils se déroulent en dehors de notre être, à savoir, hors de notre volonté. Qu'elles proviennent du monde physique ou des motions subtiles et fortuites des esprits animaux, ces passions font avant tout l'objet de perception, mais ce qui est perçu ne relève pas seulement du corps, comme le serait la position et le mouvement d'un organe considéré "objectivement", et par ailleurs ne fait pas nécessairement partie du monde extérieur ... font objet de perception la conscience elle-même de la chose perçue, ainsi que les représentations, mémoires, imaginations, songes qui découlent de ces relations entre le corps et le monde et qui, se définissent sans équivoque comme mouvements de l'âme. Nous avons là un phénomène corporel - la perception et l'émotion du corps qui s'ensuit - capable d'amener à notre conscience des événements psychiques. La connexion de l'âme et du corps devient le problème central du dualisme cartésien et, curieusement, c'est à travers la physiologie que Descartes élaborera la solution de son problème philosophique.

Agit-il en philosophe cet anatomiste qui déduit de l'unicité de la glande pinéale au sein d'un organisme symétrique aux organes doubles son rôle central dans la constitution de la conscience ? L'âme est jointe à tout le corps en raison de son indivisibilité et, en définitive de son caractère immatériel, mais au lieu de voir en l'âme le double immatériel du corps, il cherche dans le corps lui-même les causes de cette ubiquité : tout est affaire de connexions multiples, par l'entremise des innombrables canaux qui parcourent l'organisme... cependant cerveau et coeur semblent être les organes privilégiés de l'âme. Le coeur, traditionnellement siège des émotions - et cela découle que nous percevons en lui ces passions du corps qui se manifestent incontestablement par une modification et une conscience accrue du rythme cardiaque - accompagne le cerveau, où aboutissent les organes des sens, dans l'accomplissement des fonctions corporelles de l'âme.

Cependant il faut bien rechercher ce lieu privilégié où l'âme exerce ses fonctions... le poste de commande se trouve à l'évidence dans cette "glande fort petite située dans le milieu de sa substance [du cerveau], et tellement suspendue au-dessus du conduit par lequel les esprits de ses cavités antérieures ont communication avec ceux de la postérieure".
Sans doute est-il important, en faisant abstraction de ce qui relèverait uniquement de l'histoire des théories médicales, de souligner que Descartes établit volontiers des boucles rétroactives entre le corps et cette glande pinéale : la perception d'un danger suscite les mouvements de fuite qui, elles-mêmes perçues, en raison même des modifications cardiaques et de la circulation sanguine, contribuent à renforcer la peur. Mais cette peur n'advient à la conscience qu'à la faveur de l'ouverture des "pores" permettant la circulation des esprits animaux entre le cerveau, le coeur, les muscles... La glande pinéale peut ainsi jouer le rôle d'intermédiaire, non plus entre l'âme et le corps, mais entre les diverses parties du corps impliquées dans l'émotion, seule la perception de ces émotions incombe, par l'entremise de la glande pinéale, à l'âme.On pourrait se demander en quoi cette connection âme-corps reste nécessaire. En ce qu'elle permet à l'âme de vouloir les actions induites par la passion : le sentiment de la peur incite à vouloir fuir.

La volonté reste donc la clé de l'âme, clé dont il faut définir le pouvoir et les articles 41 et suivant, semblent assimiler l'âme à la volonté, ou, plus exactement, la capacité d'agir sur la pinéale qui "se meut en la façon qui est requise pour produire l'effet qui se rapporte à cette volonté". L'interface pinéale apporte donc, pour Descartes, la solution du paradoxe humain, cependant elle ne fait que déplacer le problème car si la pinéale est corporelle, comment l'immatérialité de l'âme peut elle agir sur cette glande ? La récursivité des actions, et du mouvement des fluides n'apporte-t-elle pas une autre solution ? Le corps serait en première instance passif : il perçoit le monde, il perçoit ses mouvements internes, comme il perçoit ses propres passions, celles d'âme y comprises... Ce sont ces passions qui agissent sur la pinéale de manière à ce qu'elle agisse sur les valves de la volonté : la volonté serait donc seconde et relèverait, in fine, plus du corps que de l'âme. Paradoxe d'une volonté passivement induite et renforcée par les passions du corps.
Au terme de ce paradoxe, l'âme se vide de sa substance puisqu'elle se réduit aux mouvements de la pinéale, mouvement dont la source et le moteur se trouvent dans la récursivité systémique des passions et des actions permettant ainsi, dans une analyse des passions et des volitions, de faire l'économie de leur cause immatérielle, à savoir de l'âme elle-même. C'est là certes dépasser, de loin, la pensée cartésienne - l'âme est pour lui indispensable à la pensée de Dieu comme de l'homme - mais ce questionnement de l'âme, qui s'anéantit dans la dynamique propre du corps, replace le corps dans une position centrale.

Les passions chez Descartes sont utiles : adaptations aux contraintes du corps, elles disposent l'âme à vouloir les choses "que la nature dicte nous être utiles". Peut-on dire qu'elles sont indispensables à la volition, donc à l'existence même de l'âme ? Si la typologie cartésienne cherche à tenir compte de l'unicité de l'âme ( il récuse la subdivision thomiste de l'âme concupiscible et irascible ) le dénombrement et la description des passions, dont il dégage six primitives, rend compte avec subtilité de l'implication du corps dans chacune d'elles. Certes, la typologie passionnelle date, en regard de la psychologie moderne, mais nous trouvons en elle une physiologie du corps tout autant qu'une analytique de l'âme. On trouvera donc, outre une description phénoménologique et psychologique de ces passions, un exposé des modifications physiologiques du corps : pouls, respiration, tremblements et sueurs, température et excitation des nerfs accompagnent ces mouvements de l'âme et font d'eux de véritables émotions du corps... accompagnant ces manifestations, regard, geste, voix, pâleurs et rougeurs, les pleurs, le rire ou éclats de voix rendent sensibles ces passions qui seraient, peut-être, méconnues et l'expriment à autrui, pour autant que l'on sache en interpréter les signes.

Domestiquer les passions

On peut se demander quelle est la place de l'analytique des passions dans le système cartésien. Dans son ouvrage, "le philosophe et les passions" (note 2), M. Meyer, nous éclaire sur le rapport entre l'analyse des passions et l'évidence du cogito. Le je pense ne recouvre pas d'ailleurs la pensée au sens strict (note 3) ; ce terme se réfère à l'ensemble de la vie psychique pourvu qu'elle nous soit immédiatement accessible. La question est de savoir si cette conscience est innée, ou plus exactement, si ce savoir, épargné par le doute, contient dès la naissance la totalité de la conscience. La réponse innéiste, qui suppose que la connaissance, et de soi, et de Dieu, soit toute entière présente en nous dès la naissance, découle implicitement de l'évidence du cogito. Cependant les faits, de l'innocence des enfants à la perte sénile de la raison, démentent cette thèse et Descartes, conscient des difficultés que pose l'innéisme radical, en propose une version affaiblie qui consiste à dire que seule est innée la faculté de connaître, laissant au Cogito entrainé et instruit le soin de recueillir dans le monde la matière nécessaire à l'acquisition du savoir. C'est là une solution empiriste : le savoir procède de la sensation, passée au crible de la raison. Mais si le savoir procède de la perception et de la connaissance des faits extérieurs à notre âme, on peut se demander ce qui fonde la certitude du cogito. Car, on revient, dans la démarche empirique, aux incertitudes du monde, celles que le doute cartésien voulait précisément abolir.

Certes, l'analyse des passions répond au souci de fonder une éthique : le doute avait ébranlé les certitudes conventionnelles à ce sujet, or il s'avère nécessaire, pour libérer l'homme de la servitude des sens, de juguler ces passions ou, à défaut, de les apprivoiser. D'où la nécessité de les connaître. Or Descartes constate l'extrême utilité de ces passions qui permettent non seulement l'enracinement dans un monde à la fois hostile et nécessaire, mais aussi, par l'entremise des sens, la connaissance de ce monde. Il y a donc un lien nécessaire entre la connaissance rationnelle et ces affects de l'âme que Descartes nomme passions. Aussi la passion ne doit pas être considérée chez Descartes comme le péril de l'âme, elle résulte de la nécessité du corps... Elle témoigne de l'enracinement corporelle dans le monde. Tout au long de son inventaire raisonné des passions, Descartes s'attache à élucider les liens entre les affects de l'âme, les sentiments tels que le sens commun les nomme et tels que nous les percevons subjectivement, et les mécanismes subtils qui modifient le corps, rendant les émotions perceptibles par l'entendement.

La fameuse - et mystérieuse encore - glande pinéale doit être considérée ici comme un lieu d'échange entre l'esprit (l'âme) et le corps. Certes l'âme est immatérielle et Descartes n'élucide pas ici comme ailleurs le paradoxe humain de la dualité âme/corps, mais il semble que tout au long des "passions de l'âme", Descartes n'échappe pas au corps qui paraît tout aussi indispensable à l'âme que l'âme est indispensable à la vie du corps. Cette interdépendance ne l'amène pas, sous peine de renier sa "méthode" et les "méditations" qui s'ensuivent, à s'écarter du dualisme. Il n'empêche qu'on peut se demander ce qu'il advient du cogito si son effectivité dépend si étroitement du corps, car, pour être évidente, le cogito ne peut - de façon innée - déployer toute sa puissance, de sorte que le corps apparaît comme la médiation nécessaire qui - seule - permet la construction concrète du savoir.
On pourrait rétorquer que Descartes effectue un tri entre ces passions, certaines relèvent des sensations pures, elles sont les affects de l'âme mise en relation avec le monde par l'intermédiaire du corps. D'autres sont des modifications de l'âme elle-même, qui releveraient, pour reprendre le vocabulaire psychologique courant, de la vie psychique ou de la subjectivité pure. Mais ces affects affectent le corps, ou plutôt découlent d'affects corporels, après tout, imaginations, rêveries, volitions avortées, désirs inexprimés résultent de ces oscillations de la glande pinéale soumise aux flux contradictoires des esprits animaux et des fluides sanguins. Même si l'âme peut à force de volonté et de représentation consciente modifier elle-même la glande pinéale, et, par là, juguler ou contrôler ces passions, il n'empêche qu'une interrogation subsiste quant à la source première de cette volonté, propre de l'âme cartésienne.

Une réponse vient d'emblée à l'esprit : l'âme est d'essence divine, ou procède du divin, et cette volonté serait celle de Dieu ou, à tout le moins, serait possible grâce à Dieu. La Grâce divine permettrait - seule ou avec le concours de la piété - à l'homme de faire face à la composante démonique de son être. Bien que Descartes ne puis s'écarter du dogme chrétien en la matière, il laisse cependant une ouverture vers une approche plus anthropologique.

Les remèdes que Descartes propose, moins contre les passions "car nous voyons qu'elles sont toutes bonnes de leur nature" que contre leurs "mauvais usages et leurs excès", (note 4)s'appuyent sur une connaissance lucide des composantes corporelles de la vie passionnelle. Elles pourraient suffire, affirme-t-il, mais "peu de personnes sont préparées" ajoute-t-il, "à séparer en soi les mouvements du sang et des esprits d'avec les pensées auxquelles ils ont coutume d'être joints". Ici Descartes ne compte moins sur la grâce divine que sur une ascèse rationnelle qui repose sur une connaissance précise de la physiologie des passions et, si l'on peut admettre qu'il est difficile - et peu utile - de contrôler son rire lors d'un chatouillis, Descartes affirme que "lorsqu'on se sent le sang ainsi ému, on doit être averti et se souvenir que tout ce qui se présente à l'imagination tend à tromper l'âme et à lui faire paraître les raisons qui servent à persuader l'objet de sa passion beaucoup plus fortes qu'elles ne sont, et celles qui servent à dissuader beaucoup plus faibles". La passion requiert pour être apprivoisée une lucidité de l'âme, qui suppose une distanciation critique de l'instant présent : on suspendra son jugement, on reportera des décisions, on divertira son âme par d'autres pensées. Tous actes qui supposent, au préalable, une autonomie de la raison. Le Cogito réapparaît ici, comme analyste des émotions et comme vecteur de la volonté. Mais cette dernière, on le sait, ne suffit pas pour juguler les passions qui renforcent ou affaiblissent notre propension à penser, le contrôle des passions procède uniquement, chez Descartes, d'une action mentale : pour maîtriser sa peur, il faut "s'appliquer à considérer les raisons, les objets ou les exemples qui persuadent que le péril n'est pas grand",(note 5) pour se détourner d'un désir coupable, il faut se représenter un bien plus grand....

La capacité de représentation mentale, l'imagination voulue et contrôlée, se trouvera au centre du dispositif cartésien de contrôle de soi. L'économie des passions se double d'une économie de la représentation dont on ne sait, ici, si elle résulte de l'évocation mémnonique de sensations passées, auquel cas on revient à la problématique de l'empirisme ou d'une conceptualisation plus abstraite qui requiert, au moins comme potentialité, une capacité innée...

L'argumentation de Descartes (note 6) destinée à encourager les âmes faibles est à cet égard riche d'enseignement implicite : si les mouvements de la glande pinéale sont, par nature, jointe à des pensées spécifiques, il est possible de modifier ces relations par l'entrainement ou par l'habitude, ainsi l'apprentissage de la langue crée de nouvelles interrelations entre des sensations particulières, les phonèmes, et leur signifiés. Les paroles qui "excitent les mouvements en la glande" lesquels par nature ne représente à l'âme que sons ou lettres mais auquel on peut associer, par apprentissage, la pensée de ce qu'ils signifient. C'est par habitude - aujourd'hui on dirait peut être par réflexe conditionné - que les concepts adviennent corrélativement à ces sensations signifiantes : le conditionnement du corps, par l'apprentissage du verbe, permet la représentation de concepts nouveaux et, à mesure de l'affinement de l'éducation, une capacité accrue de représentations diversifiées, et donc, une plus grande autonomie vis-à-vis de la nature. Descartes souligne que même les animaux, par dressage, peuvent être amenés à contrarier leurs instincts. L'homme, qui peut le plus, peut ce moins, mais ce moins précisément, qui semble être à la base d'un contrôle efficace de nos passions, permet de faire l'économie de l'âme... La maîtrise de la passion passe par la sensation, qui liée à l'apprentissage empirique du langage, permet la représentation, ou, si l'on veut, la conceptualisation de pensées plus adéquates aux besoins, ou aux plaisirs de l'homme, que les passions instinctives.

Ainsi le contrôle des passions de l'âme passe par l'arraissonnement des corps accessibles au langage, donné sensible, donc intensément passionnel, parce que à chaque instant de son apprentissage, lié à des sensations et des émotions qui touchent conjointement corps et âmes. Faut-il dès lors s'attacher encore à cette prééminence ou cette autonomie d'une âme devenue, au fil d'une argumentation qui ne voulait assurément point l'évacuer, superflue ? Car, aux sources de la raison, de la pensée et de la volonté ne se trouve plus le Cogito dégagé du monde ou du corps, mais cette manifestation intersubjective des pensées, exprimées dans et par le corps, à savoir ce langage dont l'apprentissage permet l'autonomie concrète d'une pensée ramenée aux raisons du corps... mais ce sont là propos qui, assurément, outrepassent la pensée de Descartes

P. Deramaix - (copyright P. Deramaix - 1996 )


notes

1. Descartes R., Les passions de l'âme in Oeuvres philosophiques et morales, éd. bibliothèque des lettres, 1948, p.471 et sq.
2. Meyer, M., le philosophe et les passions, éd. LGF, Biblio essais, 1991, p.191 et sq.
3. Descartes, R. Principes de la philosophie, § 9, in o.c., p. 344 : "par le mot de penser j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes : c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser"
4. Descartes, Les passions de l'âme in Oeuvres philosophiques et morales, éd. bibliothèque des lettres, 1948, art. 211, p. 572
5. Descartes, Les passions de l'âme in Oeuvres philosophiques et morales, éd. bibliothèque des lettres, 1948, art. 45, p. 494
6. Descartes, Les passions de l'âme in Oeuvres philosophiques et morales, éd. bibliothèque des lettres, 1948, art. 50, p. 498-499


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