Parmi les diverses idéologies, le marxisme occupe une place particulière et contradictoire. D'abord philosophiques, les travaux de Marx ont porté ensuite sur l'économie politique dont ils constituèrent une critique radicale. Cette critique, qui s'appuyait dans les oeuvres de jeunesse, sur une réflexion philosophique dérivée de la pensée de Hegel, se voulait scientifique et totalisante : la compréhension des ressorts cachés de l'économie permettait d'élucider la société entière y compris ce qui était appelé la "superstructure idéologique". Philosophie du soupçon, le marxisme appréhende la culture pour en dégager les déterminations économico-sociales qui font que tel discours, telle perception du monde, tel appareil politico-juridique sont ce qu'ils sont. Mais la pensée marxiste n'est pas que spéculative. La critique des faits sociaux n'avait de sens que si elle était porteur de changement social : le marxisme est aussi une modalité d'action sur le réel, une praxis.
Et par là la pensée marxienne se lia indissolublement aux mouvements sociaux ouvriers et révolutionnaires dont elle était d'abord une explication et ensuite l'expression théorique et pratique.
Engagés dans le mouvement communiste, Marx et Engels furent conduits à associer intimement le discours philosophique et sociologique, à prétention scientifique et universelle, à un discours politique qui était, qu'on le veuille ou non, inféodé à des impératifs tacticiens et qui se voulait l'expression d'une avant-garde sociale (le prolétariat, la couche sociale émergente) et politique (le mouvement et parti communistes, expression institutionnelle et partidaire des couches les plus éclairées du prolétariat). Comprendre cette nature ambivalente et paradoxale du marxisme, considéré tout autant comme une grille de lecture du réel que comme un instrument d'intervention sur cette même réalité est nécessaire à la compréhension de la multiplicité, des divergences et des oppositions dans les perceptions marxistes du fait littéraire.
Marx n'a jamais théorisé la littérature. Ses conceptions esthétiques - qui ne sont pas formellement systématisées -dérivent de l'esthétique de Hegel et portent la marque d'une influence romantique. Les seuls textes qui dépassent la portée d'une allusion anedoctique montrent un hellenisme imprégné d'idéalisme, ou une attitude critique par rapport au populisme d'un Eugène Sue par exemple. La correspondance avec Lasalle aborde l'esthétique littéraire. Mais il n'y a pas d'édifice conceptuel "appelée critique marxiste" qui pourrait servir à décrypter n'importe quelle oeuvre.
La critique marxiste est donc multiforme: cette diversité pose le problème de la spécificité de l'explication marxiste de la littérature. En effet, la référence constante à un mode de pensée ne peut tenir lieu de définition. Pour certains, comme Garaudy (aux temps de son engagement marxiste): il n'y a pas d'esthétique marxiste mais pour Lefebvre, "il y a une théorie de l'art du matérialisme dialectique, comme il y a une théorie de la connaissance". De même, on ne peut parler d'histoire littéraire marxiste de la même manière qu'il est vain d'évoquer une biologie biologie marxiste...Mais il y a une analyse marxiste du fait littéraire tout comme il y a un jugement critique se réclamant du marxisme des oeuvres littéraires.
En se référant aux (rares) textes de Marx portant sur l'art et aux textes (plus nombreux) de Engels, la critique littéraire marxiste entend étudier l'oeuvre dans son rapport avec l'histoire. L'oeuvre est considérée comme un reflet de la réalité sociale, mais, de par son impact sur la perception du monde des masses, elle peut influencer le cours des événements. Il ne faut pas oublier que Marx concevait le monde comme un ensemble de contradictions et de déterminations où, en ce qui concerne la vie sociale et politique, les faits économiques et matériels (le développement des forces productives, les rapports de production) sont "déterminants en dernière instance", induisant toutes les conceptions du monde et l'ensemble de la "superstructure idéologique et politique". Ainsi la vision du monde exprimée dans une oeuvre est-elle considérée comme le reflet de l'histoire, des faits sociaux, d'un certain état des rapports de production. C'est en gros la célèbre "théorie du reflet" formalisée par le théoricien soviétique Plékhanov.
Marx n'a jamais établi de critères esthétiques explicites. Ce qui ne fut pas le cas de Engels dont les préoccupations étaient essentiellement politiques et pédagogiques : il entendait présenter la pensée marxienne comme un tout unifié, cohérent , jetant les bases d'une orthodoxie facilement maîtrisable (sur le plan conceptuel) par les masses ouvrières. Là où Marx s'interroge, Engels systématise et clarifie, il apporte des éléments de réponse. Pour lui la critique littéraire se situe à deux niveaux distincts:
La critique normative n'identifie pas nécessairement la forme de l'oeuvre, sa perfection purement littéraire, à son contenu mais précisément là où le contenu s'avère, sur le plan politique, réactionnaire, la forme littéraire sera perçue comme une mystification, une illusion formelle qui contribue d'autant mieux à obscurcir les consciences qu'elle est élaborée, riche et séduisante. On comprendra qu'une telle critique débouchera rapidement sur la dénonciation des "formalismes", l'art militant est avant tout un art utilitaire dont le langage doit correspondre aux traditions populaires et à un réalisme propre à séduire le public le plus large possible. L'influence du romantisme teinté de réalisme (celui d'un Balzac) est d'autant plus réel que l'esthétique marxiste s'oppose au naturalisme. Certes le naturalisme portait son attention à une description minutieuse des réalités les plus triviales, mais l'appréhension du monde qu'elle implique suppose une acceptation des faits tels qu'ils sont. Décrire la misère et la dépravation du prolétariat ne conduit pas à percevoir cette classe sociale pour ce qu'elle est, dans son essence, aux yeux des marxistes : à savoir la classe montante, porteuse d'avenir et potentiellement consciente du caractère inéluctable de l'abolition de l'ordre social établi. Ainsi les marxistes reprochaient aux naturalistes de s'en tenir aux apparences et d'ignorer de ce fait la réalité essentielle d'un monde en devenir. Mais la critique marxiste ne s'édifie pas en champ clos : elle est en prise directe avec les luttes sociales et politiques. Dès lors se produisit un phénomène prévisible. Celui d'une surévaluation de la portée philosophique des conceptions défendues par les militants qui furent institutionnellement portés aux postes de commande. On peut certes y voir une légitimation des positions dominantes, cependant ce phénomène repose aussi sur une caractéristique d'une gnoséologie "marxiste" imprégnée en fait de pragmatisme positiviste.
La pratique est en effet élevée au rang de critère de vérité. L'accès aux postes de pouvoir ou, plus généralement, le succès politique ne manifeste pas seulement le bien fondé d'une stratégie, elle découle de la vérité intrinsèque des présupposés idéologiques dans la mesure où est vrai ce qui, politiquement, stratégiquement et tactiquement réussit. Sur cette base s'édifia tout l'appareil conceptuel de la critique normative qui culmina en des pratiques de censure institutionnalisée : ce fut particulièrement le cas pendant la période stalinienne pendant laquelle toute l'activité littéraire était étroitement contrôlée par Andrei A. Jdanov.
Andréi A. Jdanov (1896-1948), responsable de l'idéologie du PCUS à la veille et au lendemain de la seconde guerre mondiale, fut le promoteur de la ligne dure de normalisation des arts et des lettres sous le stalinisme. En 1938, comme chargé par le Comité Central de la direction de la propagande, il devient le théoricien de la politique de Staline et donne les directives dans le domaine culturel en codifiant le langage et les normes de l'idéologie du parti. Le parti se considérant comme représentant d'avant-garde du peuple, ses exigences sont données comme celles du peuple, et sont sans appel. On exige dès lors de la littérature qu'elle joue un rôle éducatif, qu'elle exalte le travail, le productivisme, et les qualités morales des soviétiques. La littérature est essentiellement nationale (contre toute influence étrangère et tout cosmopolitisme) et doit servir le peuple et le parti.
L'histoire littéraire est considérée comme une marche vers le socialisme, où seuls ont droit de cité les écrivains progressistes, réalistes et qui bannissent le héros problématique. Des écrivains russes comme Dostoievski ne sont plus édités. La propagande contre les écrivains non conformes ne se limite pas à la critique littéraire normative, elle n'hésite pas à user d'arguments ad hominem quand ce n'est pas à l'injure, la calomnie voire des mesures répressives: exclusion de l'union des écrivains, interdiction de publier, déportation et même exécutions notamment pendant les années 1948-53. La réception en France du réalisme socialiste, devenue doctrine officielle du parti en matière de littérature, ne doit pas être considérée comme une simple pratique bureaucratique stalinienne. En France le réalisme socialiste tout en étant une doctrine d'importation, s'inscrit dans la tradition héritée du siècle des Lumières, tradition qui considère l'art comme un instrument d'émancipation des hommes. Dans cette perspective, le PCF tout en adhérant étroitement au stalinisme, croit pouvoir amener le peuple à la culture par le biais de la littérature prolétarienne. Il faut garder à l'esprit que les rapports entre les idéologues du PCF et les créateurs littéraires ne sont en rien identiques à ceux qui s'établissent entre le PCUS et les écrivains soviétiques. Le PCF ne pouvait, même au plus fort de la dictature stalinienne, imposer sa ligne aux écrivains francais par des mesures répressives ou administratives. Pourtant l'allégeance de nombreux intellectuels , tels Aragon, au stalinisme était manifeste. La participation clandestine du PCF à la résistance avait fortement contribué à populariser un parti qui entendait, envers et contre tout, faire preuve d'une fidélité absolue à la ligne tracée par Staline. C'est ainsi qu'un certain nombre d'écrivains français - tels Barbusse, Marcel Martinet, Aragon - adopteront les principes esthétiques de Jdanov. On voit que la critique "orthodoxe" (en ce sens qu'elle s'inscrit dans la ligne dominante du PCF et se situe dans l'optique jdanovienne) confère à la littérature une fonction sociale et politique. Elle est liée à l'affirmation d'un idéal politique, visant la constitution d'un "homme de type nouveau", elle a pour but de transformer le lecteur en militant politique.
Pour elle,l'art ne peut se concevoir dans la neutralité. Ainsi la critique marxiste (tant la critique jdanovienne que les autres courants) se refuse au subjectivisme propre à la critique d'identification. L'oeuvre peut être étudiée "scientifiquement" , "comme une autre superstructure"(E. Bottigelli). Kanapa affirme même que le schématisme est la "première manière dont se manifeste le souci scientifique". La critique s'articulera autour de deux référents : l'idéologie de la classe ouvrière et la politique culturelle de l'Union Soviétique. Aragon affirme que seule la fidélité à la patrie du Socialisme permet d'échafauder sur des bases objectives la doctrine du réalisme socialiste. Un simple "populisme" centrée sur la réalité sociale du prolétariat français ne suffit pas: en effet la classe ouvrière, dans la société capitaliste, est encore dominée, sur le plan des idées, par les idéologies bourgeoises.
Sa conscience réelle ne coincide pas encore totalement avec la vision "scientifique" du monde apportée par le parti d'avant-garde. En fait de vision scientifique, le PCF n'apporte en fait - au cours des années 1930-1960 qu'une fidélité étroitement orthodoxe aux directives staliniennes. Plutôt qu'un réalisme brut, la critique jdanovienne française tendra à assimiler le romantisme social, ou révolutionnaire et réalisme socialiste. Il y a là l'influence du romantisme de Gorki, qui sera considéré par Lénine comme "le plus grand écrivain prolétarien". En France on optera pour Hugo contre Balzac... et Fadéev contre Hugo.
Ainsi la critique marxiste devient une "pédagogie de l'enthousiasme" , l'optimisme est de rigueur même si les contraintes de la NEP, de la collectivisation des campagnes, de la réalisation du plan quinquennal et de l'économie de guerre conduira concrètement le peuple russe à la famine, aux déportations en masse, aux millions de morts victimes de l'aggression nazie, d'une part, et du stalinisme d'autre part. L'optimisme qui sous-tend la littérature socialiste est un reflet de la vie du point de vue de l'avenir : si la lutte est présente, parfois incertaine, la victoire finale ne peut faire l'objet de doute : en effet le socialisme scientifique repose sur les lois immanentes de l'Histoire. En ce sens la littérature réaliste socialiste prétend à la scientificité, à un rationalisme scientifique qui tout en se démarquant de la "science bourgeoise" certes, affirme élucider et illustrer les lois de transformation des sociétés. Ce souci d'illustration en fait une littérature pédagogique, adressée aux larges masses, au prolétariat, même le plus inculte : "tout ce qui est vraiment génial est accessible et d'autant plus génial que plus accessible aux larges masses" écrit Jdanov. C'est dire que l'on s'écartera de toute recherche de l'originalité formelle, de la beauté littéraire pour la beauté. La créativité stylistique et sémantique sera considérée avec la plus grande suspicion. Le classicisme formel teinté de romantisme épique sera le canon de l'esthétique littéraire.
Pour le réalisme socialiste, la littérature est un instrument au service de l'homme nouveau, l'écrivain doit mettre en scène le héros positif, constructeur du socialisme. Aragon se signale comme le thuriféraire le plus zélé du réalisme socialiste, dont il distingue cependant la forme du contenu en affirmant que "la littérature prolétarienne devait être nationale dans sa forme et socialiste dans son contenu." Jdanov, lors du premier congrès des Ecrivains socialistes, à Moscou, consacre le réalisme socialiste et la littérature de parti (le "partinost", l'esprit de parti). Ce concept est une déformation cependant des directives de Lénine sur la littérature de parti exprimées dans son texte "Organisation du parti, littérature de parti", ces dernières ne devaient s'appliquer qu'à la production interne (tracts, rapports, discours, textes de propagande) et non pas à la littérature artistique dont Lénine entendait préserver l'autonomie. Dans la mesure où le réalisme socialiste prétend exprimer les forces sociales tendues vers l'avenir, elle se refusera à un simple naturalisme qui ne s'attacherait qu'à l'apparence du réel. On voit là un souci constant de "montrer la montée des forces populaires", d'affirmer la prééminence du nouveau sur l'ancien, de dire la vérité au prolétariat mais entendons-nous bien : cette vérité est celle perçue, construite, conceptualisée par l'avantgarde, autrement dit par le parti et plus particulièrement par ses cadres dirigeants.
Quelle peut être, à partir de l'appareil conceptuel jdanovien, la fonction du critique littéraire marxiste? Il se retrouve en effet bien peu armé pour élucider la littérature ancienne. Certes le matérialisme historique, et sa théorie de la détermination de la superstructure par l'infrastructure, permettra une lecture des faits culturels. Mais elle se réduira le plus souvent, en matière de littérature, à une simple transposition manichéenne du clivage idéaliste/matérialiste en classant les écrivains en progressistes (qui se rapprochent le plus du réalisme ) et réactionnaires. La critique orthodoxe se contentera dès lors à mettre en relief les contradictions inhérentes à l'idéologie du temps, que l'auteur n'aura su surmonter et à établir en histoire littéraire, tel Pierre Daix (Sept siècles de roman, Paris:E.R.F., 1955), une sorte de Panthéon du réalisme. Y entrent : Shakespeare, Cervantes, Corneille, Molière tandis que La Fontaine s'y voit exclu.
L'Essai de critique marxiste de Cornu (Ed. Sociale, Paris 1951 ) opuscule publié sous l'égide du PCF au plus fort de son dogmatisme, distingue dans une société divisée en classes trois types de littérature selon qu'elle est l'émanation d'une classe décadente - elle exprimera des thèmes d'opposition au réel -, d'une classe dominante - il s'agira d'une thématique de justification - et de classes ascendantes - dont la littérature exprime le renouveau de la société. La critique jdanovienne a oblitéré toute élucidation de la littérature comme fait social. Or si tout jugement sur la littérature dépend en dernière analyse d'une morale, d'une idéologie, d'une échelle des valeurs, la lecture marxiste est démystification, elle est mise en situation "d'un texte dans le jeu des luttes de classe en cours" (Lénine) sans que pour autant il soit nécessaire de réduire la critique littéraire à une simple dénonciation politique.
En effet le marxisme, et il vaudrait mieux d'ailleurs de ne parler ici que de "matérialisme" plutôt que de se référer aux pratiques d'un "marxisme" partidaire, étatique et institutionnel, envisage la littérature comme un phénomène sociologique et culturel qu'il importe d'analyser et d'élucider. Ce sera en dehors des appareils institutionnels partidaires et étatiques et bien souvent malgré eux que toutes les richesses de cette critique d'élucidation vont se déployer en de multiples courants.
La publication posthume, en 1923, des "manuscrits de 1844" de Marx mit en lumière la filiation étroite entre l'hégélianisme et le marxisme. Certes Althusser s'efforça de démontrer qu'une rupture épistémologique radicale eut lieu entre l'élaboration de ces "manuscrits de 1844" et la publication du "Capital" mais d'autres auteurs (H. Arvon, J.d'Hondt, H. Marcuse, K.Axelos) mettent plutôt en évidence les convergences entre Hegel et Marx.
Ces convergences se manifestent notamment dans le domaine esthétique et l'on verra plusieurs penseurs marxistes tels Plékhanov, Lukacs ainsi que Goldmann) se référer explicitement à l'"Esthétique" de Hegel.
Ainsi Hegel établit des analogies entre les classes sociales et les productions artistiques d'une époque, il ramène l'étude littéraire à l'étude du contenu, au détriment de l'analyse formelle. Les marxistes reprennent souvent des concepts hegeliens : celui d'aliénation, de totalité, de ngativité... concepts auxquels ils confèrent souvent un sens nouveau, concret. Le concept d'aliénation, qui reste chez Hegel abstrait et purement ontologique, devient dans la pensée marxiste une situation existentielle déterminée par la réalité sociale et économique. C'est cette prise de conscience qui est exprimée dans les fameux "manuscrits de 1844" qui inspirèrent profondément Lukacs, Gramsci, Korsch, E. Bloch, l'école de Francfort, et plus proche de nous, des marxistes non staliniens tels que Axelos, Lefebvre, Fougeyrollas, F. Châtelet... La critique hegeliano-marxiste met l'accent sur le concept de totalité : elle se refuse à privilégier les déterminations économiques, l'infrastructure. L'individu, et sa production artistique, littéraire ou culturelle, est le produit d'une insertion totale dans une réalité globale, multiforme, complexe où les déterminations psychologiques, sociales, économiques, culturelles et politiques se totalisent en un tout cohérent. On peut sans doute voir dans cette vision des influences de Dilthey et de Heidegger (sensibles chez Lukacs, Marcuse, Adorno...).
Sur le plan de la critique littéraire, cette conception aboutit au rejet de la théorie du reflet et par là de toute critique normative du type jdanovien. En lieu et place des déterminations mécaniques on verra apparaître des médiations multiples. D'autre part l'esthétique, comme discipline spécialisée, disparaît au profit d'une conception globale des capacités d'expression d'une société. L'art comme tel est en fait un produit de la division sociale du travail et doit donc être nié comme réalité autonome. Ce qui conduit à deux conséquences: - la critique devient mise en relation du fait littéraire avec le fait social. Elle devient sociologie de la production littéraire. L'analyse formelle est dénié, l'oeuvre d'art est avant tout expression d'une conscience aliénée qui cherche à travers la création artistique à abolir la distance irréductible entre le sujet et l'objet. Par la création artistique (et littéraire), l'individu veut devenir véritablement sujet, comme créateur, producteur d'idée mais un tel objectif ne pourra être atteint que par l'abolition des aliénations sociales et - dans une interprétation radicale de certains écrits marxiens - par l'abolition du travail.
Cette mise en évidence du caractère utopique (au sens plein du terme) de la pensée marxienne est manifeste chez E. Bloch. D'une manière beaucoup plus pessimiste, les penseurs de l'Ecole de Francfort, Horkheimer, Adorno et Marcuse mettent en évidence l'encerclement technicien et positiviste d'une conscience humaine définitivement aliénée de sorte que seule la création artistique subsiste comme lieu de liberté et d'authenticité.
La production artistique change de finalité : elle tend à décloisonner les formes, les champs d'activité. Le théâtre, la littérature, le cinéma fusionnent en des entreprises d'avant-garde; les arts plastiques, l'artisanat, l'architecture se mettent au service des masses en abolissant toute frontière entre les disciplines (par ex. le constructivisme russe, le Proletkult, le Bauhaus). Des courants tels que le dadaïsme, le surréalisme en littérature, le pop-art, le situationnisme peuvent se comprendre comme une dénonciation des formes académiques, classiques et une tentative d'appréhension collective de la production artistique afin de détruire l'art "bourgeois".
Ainsi la critique littéraire deviendra une élucidation de l'oeuvre qui sera perçue tantôt comme l'expression d'une conscience aliénée et réifiée (ce sera le cas dans les critiques de Horkheimer et de Adorno de la production culturelle de masse) ou de la conscience d'une couche sociale en crise (cfr les critiques lukacsiennes du roman), tantôt comme l'expression d'une conscience anticipante, d'une utopie agissante dans l'oeuvre, de l'espérance inextinguible d'une réconciliation des hommes (ce sera le cas chez E. Bloch). Goldmann se situe dans la continuité de ce courant, se référant constamment au jeune Lukacs. La position de ce dernier, dans la critique littéraire marxiste, est on le sait problématique. Si ses oeuvres premières, qui inspirèrent Goldmann - "L'Ame et les formes" et "Théorie du roman" - portent la marque kantienne et restent imprégné d'idéalisme; "Histoire et conscience de classe" constitue un tournant et dans l'évolution personnelle de Lukacs et dans la philosophie marxiste. A une détermination univoque de la superstructure par l'infrastructure, Lukacs oppose un rapport dialectique entre les faits historiques et sociologiques, la conscience individuelle et celle des masses. La conscience de classe, loin d'être un simple reflet des rapports de production, joue un rôle décisif dans l'évolution historique. Elle est agissante et structurante. Sous la pression stalinienne, Lukacs fut amené à renier ses oeuvres de jeunesse et à critiquer fortement "Histoire et conscience de classe", revenant à des positions orthodoxes où il s'attache à défendre le réalisme et à élaborer une sociologique du roman historique.
Le bref survol de la critique littéraire marxiste nous permet d'ore et déjà de situer Goldmann bien en dehors du courant orthodoxe (jdanovien). Faut-il pour s'en convaincre évoquer les attaques que formulèrent P. Daix et R. Picard contre "le Dieu Caché"? (Nouvelle critique et art moderne / P. Daix, Le Seuil, 1968 et Nouvelle critique ou nouvelle imposture / R. Picard, J.J.Pauvert , 1965) ainsi que l'accueil plutôt froid de "Nouvelle Critique" ?
Pour mieux situer Goldmann dans l'épistémologie marxiste, nous pourrions analyser le chapitre "matérialisme dialectique et histoire de la littérature" in "Recherches dialectique", (Paris: Gallimard, 1980; pp 45 et sq.). Goldmann ne revient pas sur ce qu'il considère comme un postulat fondamental, non seulement du matérialisme historique mais de toute approche scientifique de l'histoire littéraire, à savoir "l'influence de la vie sociale sur la création littéraire". Pour lui, les "vraies valeurs spirituelles ne se détachent pas de la réalité économique et sociale", elle "portent précisément sur cette réalité en essayant d'y introduire le maximum de solidarité et de communauté humaines". La question centrale de ce chapitre est de "poser les questions des rapports entre la vie littéraire et la vie sociale".
Goldmann s'écarte pourtant radicalement de Taine. Il ne s'agit pas pour lui d'expliquer l'oeuvre par la biographie de son auteur et les influences sociales qu'il aurait reçu. Une telle démarche lui apparaît trop univoque, mécaniste et unilatéralement déterministe. L'oeuvre procède d'une logique interne autonome, elle est expression d'une vision du monde et cette vision du monde soit être considérée - et c'est là l'affirmation centrale de Goldmann comme un fait social. Qu'est-ce qu'une oeuvre littéraire : c'est la mise en place d'un univers propre, autonome, possédant êtres, choses et personnages dans un contexte qui leur est propre. L'univers romanesque, théâtral, poétique surgit de la conscience de l'auteur non pas en fonction de déterminations linéaires telles qu'une transposition mécaniste des événements biographiques mais en fonction d'une logique interne qui traduit la vision - imaginaire - du monde intériorisée par l'auteur.
La cohérence de cette vision du monde est le critère essentiel qui fait du texte
littéraire une oeuvre à part entière.
Les influences biographiques, du milieu social, familial, culturel, sont sans doute
réelles mais elles peuvent être contrecarrées et consister aussi bien en des
comportement d'adaptation qu'en des attitudes de refus et de révolte.
Il s'agit d'un processus complexe où s'entrecroisent aussi bien des
déterminations psychologiques que des déterminations sociologiques. Ainsi
donc la biographique individuelle ne joue pas nécessairement un rôle essentiel
dans l'explication de l'oeuvre.
Contrairement aux assertions de la critique jdanovienne, les intentions conscientes de l'auteur ne constituent en rien un critère d'évaluation de l'oeuvre : il ne suffit pas de prétendre consciemment exprimer une idéologie, une conception du monde, dans une oeuvre littéraire pour qu'elle soit réellement présente dans l'univers fictif que l'auteur a produit. En fait, ce sont même les oeuvres "à thèse" qui sont en général les plus médiocres. Goldmann parle d'un "décalage" entre les idées philosophiques, littéraires ou politique de l'écrivain et la manière dont il "voit et sent l'univers qu'il crée". Il prend ainsi l'exemple d'un Balzac qui en dépit de ses prises de position légitimistes et monarchistes "décrit mieux que quiconque les vices d'une artistocratie et d'une monarchie sur le déclin". L'analyse immanente de l'oeuvre (qui serait une analyse textuelle, structurale de l'oeuvre détachée de ses éventuels référents biographiques) permettrait de rendre compte de ce décalage et de séparer le conventionnel, le contingent, de ce qui relève d'une vision authentique et créative. Goldmann se livre même, dans ce départage, à des considérations esthétiques: il affirme que "la valeur littéraire de l'ouvrage permet d'emblée la discrimination".
"Plus l'oeuvre est importante plus elle vit et se comprend par elle-même " : cette affirmation rejette sur un plan secondaire les intentions conscientes dans la production littéraire. Il ne s'agit pas de nier le rôle de l'individu dans la création, mais de constater que l'oeuvre à une logique propre indépendante des intentions qui président à son élaboration. Il s'agit bien sûr des oeuvres de fiction ou poétiques et plus particulièrement des oeuvres importantes, essentielles : en effet bon nombre de productions littéraires ne méritent pas aux yeux de Goldmann le nom d'oeuvre précisément parce qu'elles manquent de cohérence interne et ne sont que pur produits conventionnels. La cohérence d'une oeuvre réside en ce qu'elle consitue une totalité dont les divers éléments "se comprennent l'une à partir de l'autre et surtout à partir de la structure de l'ensemble". On voit le souci de Goldmann de dévoiler, par une analyse structurale immanente, les interrelations entre les microstructures qu'il décelerait et la structure globale de oeuvre.
Parce qu'elle est une conception du monde intimement liée à la pratique politique, le matérialisme a conduit parfois à l'affirmation "d'une unité nécessaire entre l'oeuvre et l'action". C'est là une dérive normative qui tend à évaluer l'oeuvre en fonction de la vie extralittéraire de l'écrivain: cette démarche est pour Goldmann radicalement fausse en histoire littéraire. Certes le matérialisme dialectique affirme l'unité de la pensée et de l'action, cette dernière induisant le plus souvent la première, ainsi que leur "interpénétration intime" au niveau du groupe social, ces constatations "n'impliquent nullement celle d'une unité entre la fonction objective du comportement individuel de l'écrivain et la portée objective de son oeuvre". Ce qui peut être vrai pour le groupe social ne l'est pas nécessairement à l'échelle individuelle. La portée (et la valeur) objective de l'oeuvre ne coincide pas avec sa portée subjective telle qu'elle est perçue par son auteur. De même la valeur objective est elle nécessairement identique à l'appréciation subjective qu'en fait le lecteur ou le critique ? Certes non, et c'est là la question centrale qui doit présider au choix de la méthode critique qu'il faut dégager impérativement de tout subjectivisme. Cette question de l'unité de l'action et de la pensée nous amène aussi à discuter de l'engagement de l'artiste. La création littéraire doit-elle être engagée? En effet les partisans du matérialisme dialectique, pris dans les nécessités tacticiennes de l'action politique, concoivent souvent la création artistique de manière utilitaire: celle ci doit servir la lutte.
Or Goldmann s'écarte résolument de toutes les positions qui amèneraient à brider la liberté créatrice en vue de promouvoir une littérature "militante". L'artiste, pour lui, n'a pas à copier la réalité ni à enseigner des vérités, son rôle est de créer des êtres et des choses qui constituent un univers plus ou moins vaste et unifié. C'est uniquement la cohérence de cet univers qui détermine la valeur de l'oeuvre. La critique littéraire n'a pas comme objectif d'établir des nor-mes artistiques ou littéraires, encore moins de dicter à l'auteur les thèses qu'il doit défendre, mais seulement de comprendre et d'expliquer la production littéraire existante. Le matérialisme dialectique est pour lui un instrument d'élucidation, d'explication du fait littéraire (considéré comme un fait social), ce qui n'a rien a voir avec toute pratique normative. Il n'empêche néanmoins que Goldmann est un militant (dont la praxis est surtout celui d'un universitaire attelé à une tâche de recherche scientifique ) dont les positions politiques, clairement affirmées dans nombre de ses écrits - et qui le situent dans la mouvance du marxisme antistalinien et autogestionnaire -n'interfèrent pas directement avec le travail d'historien de la littérature.
La génialité dans la création littéraire est pour Goldmann le problème "le plus important de l'esthétique". C'est un problème objectif de l'histoire littéraire dont la difficulté essentielle réside dans le fait qu'il n'y a pas de définition clairement établie et largement acceptée de la génialité. Or l'existence d'oeuvres marquantes, telles celles de Dante, Cervantes, Shakespeare et de Goethe, dont la portée dépasse de loin celle des circonstances socio-historiques qui présidèrent à leur création, paraît indéniable aux yeux des critiques et historiens de la littérature.
L'un des éléments d'évaluation avancé par Goldmann est la cohérence interne de l'univers créé par l'écrivain impliquant une unité de la forme et du contenu. D'autre part un autre facteur de génialité est le caractère innovateur de ces auteurs qui, tels Baudelaire, Rimbaud, Rilke "expriment pour la première fois sur le plan sensible une certaine manière de voir et de sentir l'univers". On s'écarte de toute subjectivité dans l'évaluation du caractère génial d'une oeuvre, la génialité n'a rien à voir avec le succès littéraire immédiat, la sympathie que l'on peut avoir pour telle oeuvre, tel courant esthétique... Goldmann relève deux caractères essentiels des oeuvres géniales.
En premier lieu, elles sont le reflet d'une transition entre deux époques marquée
par l'effondrement des anciennes valeurs et l'émergences d'une nouvelle vision
du monde. L'écrivain "génial" essayerait de retrouver "en acceptant et assimilant
les valeurs nouvelles, l'universalité perdue avec l'effondrement du monde
ancien".
En second lieu, il semble surmonter la contradiction entre l'expression sensible
toujours susceptible d'être entâchée de subjectivité et la conceptualisation
réfléchie qui risque de rendre l'oeuvre purement abstraite mais qui seule permet
une saisie totalisante des problèmes essentiels du temps. Il s'agit pour l'écrivain
d'introduire l'universel (la vision totalisante) dans le particulier d'un récit ou
d'une vision poétique.
Ce qui conduit Goldmann a une affirmation apparemment contradictoire avec
son refus de jugement normatif des oeuvres : pour lui le génie est "toujours
progressiste" car "seule la perspective de la classe ascendante peut assurer, à une
époque donnée, à travers toutes les idéologies et les dangers d'erreur, la
connaissance la plus vaste et la sensibilité la plus riche".
Est-ce dire que pour être génial, l'écrivain doit être consciemment
"progressiste"? Non, nous le savons : le contenu objectif de l'oeuvre est en
constant décalage avec la subjectivité politique ou esthétique de l'auteur. De
même l'écrivain génial n'est pas nécessairement issu de cette "classe
ascendante". Ces époques de transition, de crise, qui élargissent les horizons,
multiplient les problèmes, ouvrent de nouveaux chemins à l'investigation, sont
pour Goldmann "particulièrement favorables à la naissance de grandes oeuvres
d'art et de littérature" .
La génialité est surtout un dépassement du contingent, elle transcende le présent, le conjoncturel pour retourner aux valeurs essentiels à savoir l'universalité, c'est à dire à l'exigence nostalgique/utopique d'une humanité réconciliée. Cette quête de l'absolu peut s'exprimer de manière contradictoire. Elle peut être l'aspiration des couches sociales ascendantes qui visent à abolir l'ordre ancien et à réinstaurer l'universalité brisée par la discordance entre les conditions matérielles de l'existence, l'état concret des rapports sociaux et les possibilités offertes par le développement technologique. Elle peut être au contraire la nostalgie des couches sociales en déclin qui visent à réintégrer l'ordre primordial par une régression sociopolitique ou à retrouver cette unité originelle de l'individu par une régression irrationaliste psychologique et philosophique.
Pour le critique deux écueils sont à éviter : la réduction
à la biographie et l'analyse immanente, purement textuelle de l'oeuvre.
Se cantonner dans l'explication biographique, ne permet de saisir la vie et
l'oeuvre qu'à travers ce que la sensibilité historiquement datée
du critique permet de percevoir et d'assimiler. D'autre part une analyse purement
immanente à l'oeuvre, textuelle, esthétique ou de contenu ne permet
pas de dégager la part vécue de l'oeuvre. Dans l'un et l'autre
cas il y a séparation abusive de la forme et du contenu, du particulier
et de l'universel. L'explication sociologique permet d'intégrer ces éléments,
pour autant qu'elle ne soit pas réductrice et univoque. L'analyse sociologique,
en elle-même, n'épuise pas l'oeuvre d'art mais elle permet " de
retrouver le chemin par lequel la réalité historique et sociale
s'est exprimée à travers la sensibilité individuelle du
créateur dans l'oeuvre littéraire ou artistique qu'on est en train
d'étudier".
On peut préciser ici la position de Goldmann dans les divers courants de la sociologie littéraire. C'est bien à l'intérieur de la sociologie, constituée comme science, qu'il se situe. Sur le plan institutionnel d'abord puisque ses recherches universitaires se déroulèrent dans le cadre de l'Institut de sociologie de l'ULB mais aussi sur le plan conceptuel puisqu'il est animé d'un souci constant d'explication (autant que de compréhension) du fait littéraire en le mettant en rapport étroit avec les faits historiques et sociaux. La sociologie considère le fait littéraire selon une optique qui sort largement des préoccupations esthétiques auxquelles se limitent la plupart des critiques littéraires. La littérature est surtout production d'un discours écrit institutionnalisé à postiori comme oeuvre littéraire.
Le processus de production et d'institutionnalisation de l'oeuvre littéraire
est l'objet de la sociologie de la littérature.
Et à ce titre, plusieurs approches sont possibles :
- analyse et description de la position sociale de l'écrivain, et des
conditions historiques de l'émergence du statut d'écrivain. Analyse
de l'écrivain comme sujet de la création : on peut en venir à
une position positiviste - mettant en évidence les déterminations
sociales -, à une position psychologiste - qui cerne le moi de l'écrivain
à travers l'oeuvre ou tente de l'expliquer par la genèse du moi
de l'auteur perçu à travers les faits biographiques - , ou à une
position totalisante qui insère le sujet de la création comme
sujet autonome dans un cadre socio- historique total : c'est la position de
Sartre dans "l'Idiot de famille" et théorisée dans "Question de
méthode".
- analyse des rapports entre la conscience collective et le contenu de l'oeuvre
: c'est l'objet de l'oeuvre de Goldmann. ce sera la préoccupation d'un
Lukacs, d'un Macherey...
- analyse de la réception de l'oeuvre, son accueil par les éditeurs,
le public, la critique. On en vient à une étude de l'institutionnalisation
de l'oeuvre comme oeuvre littéraire. Ce qui conduit à une différenciation
de la littérature institutionnalisée et de la littérature
populaire, des paralittérature, des textes non-littéraires. L'analyse
des paratextes : du processus d'encadrement et de présentation de l'oeuvre
qui l'instituent comme telle et définissent le cadre de lecture peut
être un outil précieux pour la compréhension de ce processus.
Le rôle structurant de l'acte de lecture peut être mis en évidence
(cfr Lector in fabula de H. Eco) de là on en vient à une interrogation
du lecteur, de son statut, de ses attentes et de ses motivations.
- analyse des conditions matérielles et économiques de la production,
réalisation et diffusion de l'oeuvre, depuis la fabrication du livre,
jusqu'à sa diffusion commerciale en passant par l'étude de la
situation matérielle, juridique et institutionnelle de l'écrivain
d'aujourd'hui.
En analysant les textes de Goldmann on s'aperçoit qu'il porte quasi exclusivement son attention sur les rapports entre la structure interne de l'oeuvre, son contenu, et la vision du monde d'un groupe social. Cela le conduit à définir cette vision du monde (le tragique) au préalable de toute analyse textuelle. Dans d'autres cas, comme l'analyse du roman, il examine les conditions sociales de la genèse du roman comme genre littéraire à partir des écrits de Lukacs: son approche n'est pas empirique (elle consisterait en une analyse sociologique de la condition sociale des romanciers) mais théorique et conceptuelle.
Son "Introduction à une sociologie du roman" est en premier lieu une
présentation des thèses de Lukacs et de Girard sur la fonction du roman dans la
littérature. Ces prolégomènes qui définissent le roman à héros problématique
comme émergence d'une bourgeoisie en crise, introduisent à une étude des
oeuvres de Malraux et du Nouveau Roman.
L'analyse de Malraux est structurale : il définit les principaux protagonistes de
"la Voie royale", des "Conquérants" ou de "la Condition humaine" par leur
fonction emblématique dans l'économie du roman.
L'analyse de Goldmann se situe en définitive en un lieu de convergence entre l'analyse structurale et une approche conceptuelle posthégélienne qui le situe dans une position relativement éloignée de l'empirisme positiviste. Au lieu d'examiner en premier lieu les textes ou les élements historico-biographiques, Goldmann définit les concepts qui lui sont nécessaires à l'élaboration de sa critique. Ce n'est que par la suite qu'il met en évidence les homologies structurales entre le texte et les concepts qui résultent d'une schématisation des phénomènes sociaux.