essai d'analyse d'un conte des frères Grimm.Les trois cheveux d'or du diablePatrice Deramaix. |
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vers le texte de "les trois cheveux d'or du diable"
Deuxième agresseur secondaire, mais plus dangereux par sa voracité, le diable ne pourra être neutralisé que par la ruse de l'Hôtesse, seconde Fp. Les sentinelles et le passeur seront des médiateurs chargés d'opérer les rites de passage.
Nous aurons donc mis à part le Héros (H), des Agresseurs (A) confrontés à des Protecteurs (Fp) qui sont, mis à part les meuniers (qui sont des parents adoptifs), féminins.
Les Agresseurs sont, eux, masculins.
Les modalités d'actions se résument, eux aussi, à quelques types récurrents : Actions maléfiques, tentatives de meurtre, ordre d'exécution, imposition d'une épreuve supposée insurmontable, qui seront désignées comme Méfaits (M).
Des actions de protection, parfois complexes, (adoption, neutralisation des agresseurs secondaires, dissimulation) bénéfiques au héros seront désignées dans notre schéma par B.
Les Pièges (P) sont toujours des actions de substitution visant soit à présenter un méfait sous l'apparence d'une action bénéfique (promesse d'or), soit à substituer à l'instrument du méfait son contraire de manière à neutraliser le piège, soit à - par le mensonge - à substituer le contenu d'une information par une autre.
Le héros, dans sa pérégrination, s'éloigne (E ) de la situation initiale (S) ou, à la fin de sa quête, retourne d'où il vient (E ).
Les communications entre les personnages prennent la forme de :
Cette réduction du récit en une séquence de fonctions oblitère naturellement la portée symbolique des éléments narratifs : il n'est naturellement pas indifférent que l'agresseur soit Roi ou Diable, que le Protecteur transforme le héros en fourmi, et que l'éloignement du héros le conduise dans la forêt, ou aux abords de deux villes.
Mais une telle analyse structurale n'est pas considérée ici comme l'aboutissement de la recherche : l'interprétation portera certes sur la séquence des événéments et sur leur fonction mais aussi - dans un deuxième temps - sur le contenu de ces unités narratives considérées dans leur sens symbolique.
Cette analyse non plus structurale mais interprétative s'appuiera sur une herméneutique des symboles. Elle ne pourra pourtant être menée à bien que dans la mesure où la structure interne du récit est clairement dégagée du texte.
La jeunesse du héros se résume à une séquence répétée deux fois :
S(1) : S - A - QRP | o(r)a | M - E |
Par deux fois le héros se retrouve soumis aux aléas de la nature : rivière et forêt. Par deux fois il sera recueilli: par les meuniers et par les voleurs. C'est une transition éloignement (égarement) - action bénéfique (adoption).
T(1) et T(2) : E - B |
S(2) : S - Fp - QRB | ap | A' A- ' |
Le capitaine des voleurs, présenté par la vieille femme comme un agresseur prend pitié : A devient A- , neutralisation de l'agresseur. En enfer, l'enfant vivra la même séquence : L'hôtesse du diable, femme protectrice, questionne l'enfant, obtient la réponse, agit bénéfiquement (B) en l'avertissant (a) et en le dissimulant, transformé (t) en fourmi, dans les plis de sa robe pour le protéger (p). Par ruse et autorité, les velléités anthropophages du diable sont neutralisées.
La séquence est alors :
S(2)' : Fp - QRB | atp | A" A-" |
Pendant le sommeil de l'enfant, le capitaine des voleurs, agresseur secondaire devenu inoffensif, questionne la vieille femme sur l'identité du garçon, obtient la réponse et tend un piège, non pas à l'enfant mais au roi, en substituant à l'ordre d'exécution une lettre fictive enjoignant la Reine de procéder au mariage. La substitution constitue ici la clé du récit en ce sens qu'elle subvertit l'ordre royal. La séquence est - à cette substitution près - identique aux précédentes : 1
S(3) : A' QRP |subst.o- o+ | M- - E |
S(4) : A - QRP- M | oaé | E |
Passé le fleuve, l'enfant parvient aux bouches de l'enfer : il rencontre l'hôtesse du diable en une séquence tout à fait similaire à celle du refuge des voleurs. Seule les modalités de l'action bénéfique sont plus complexes. Mais contrairement à l'épisode des voleurs, où le Capitaine qui prend la décision de subtiliser l'ordre d'exécution, c'est la vieille femme (hôtesse du diable) qui prend et garde l'initiative. Elle piège le diable en lui subtilisant l'objet de la quête (les cheveux) et extorquant les solutions des énigmes. Le procédé n'est rendu possible que grâce au sommeil du diable et en substituant à l'énigme le récit fictif d'un rêve. Comme l'énigme est triple, la séquence est répétée trois fois.
nous avons :
s'(2) : Fp QRB| atp | A" A-" |
S(3) : FpP | O - Subst (én.-rê) QR | D - E |
C'est-à-dire la séquence de neutralisation de l'agresseur suivi d'un piège consistant à obtenir l'objet de la quête, à poser l'énigme en le présentant comme rêve et en obtenir la solution (QR) et à donner (D) à l'enfant les cheveux d'or. Comme sa fonction est globalement la même (neutralisation du méfait du roi), on peut l'assimiler à la seconde partie de l'épisode des voleurs et à l'action de la vieille femme. Reste à examiner le retour final au palais. Notre héros aura avant de pénétrer en enfer rencontré deux sentinelles et le passeur, de retour, il traverse à nouveau les mêmes lieux en donnant les solutions aux énigmes et recevant les récompenses adéquates. Ces séquences transitionnelles sont désignées T2 et -T2. Au palais, le héros revient victorieux, de l'enfant qu'il était il est devenu un homme parvenu : le roi change de nature, perdant son agressivité ; c'est au tour du héros de le piéger en le convainquant d'aller lui-même aux bords de l'enfer puiser l'or (substitution sable-or).
La séquence reflète de manière inversée les séquences premières :
EH ,A A- QRP (H-A) | oa | M(H-A) EA |
Comparons avec la séquence initiale :
A QRP(A-H) | oa | M(R-H) EH |
A QRP- M | oaé | E |
Nous pouvons considérer que la scène finale renverse doublement la séquence initiale.
Si nous considérons l'ensemble des séquences, le récit peut s'articuler comme suit :
S(1)AP T1 S2 -- S3 -T1 S(1)AP- T2 S'2 -- S'3 -T2 S(1)A-P |
(enfance/agression) (égarement) (voleurs) (dés-égarement) (mariage) (énigmes) (enfer) (solution) (adulte/réparation) |
On constatera la symétrie entre l'épisode des voleurs et la rencontre avec le diable, symétrie dont l'axe est le mariage permis par la substitution de la lettre. En considérant maintenant les deux interventions de Fp, nous constatons qu'elles représentent aussi des épisodes clés séparant des étapes bien distinctes et symétriques : S2-S3 sépare la période de l'enfance de l'âge adulte en ce sens qu'elle permet le mariage mais S'2-S'3, équivalent infernal de l'épisode des voleurs, traduit aussi un passage qualitatif dans la vie de l'enfant coiffé : marié, il possède certes un statut social d'adulte, mais ce mariage n'étant pas reconnu, l'enfant doit faire la preuve de sa royauté. Descendant aux enfers comme usurpateur, il reviendra roi capable de vaincre son prédécesseur.
La structure générale de ce récit est de toute évidence celle d'un mythe héroοque mettant en scène la rivalité entre le roi et son futur successeur. Ce thème est extrêmement fréquent dans la mythologie et trouve son origine peut-être dans un mode ancestral d'acquisition du pouvoir royal.
James Frazer évoque - au début de son "Rameau d'or" - le Roi des Bois de Nemi : dans l'enceinte du sanctuaire de Diane à Némi, dans la campagne romaine, se dresse un arbre sacré. Seul un esclave fugitif avait le droit de briser un de ses rameaux. La possession de ce trophée lui permettait d'attaquer le prêtre de Diane en combat singulier et s'il le tuait, de prendre à sa place le titre de Rex nemorensis, roi du Bois, roi destiné à périr des mains de son successeur... note 2 Le rituel trouve peut-être une origine lointaine dans le mode de succession en vigueur dans la civilisation minoéenne où l'étranger pouvait succéder au roi d'une cité en le tuant et épousant sa veuve. note 3
La rivalité entre le roi et l'enfant prédestiné se rencontre en outre dans de nombreuses légendes : chez les hébreux on recontre un récit similaire de la naissance d'Abraham : Nemrod, alors roi, connu la prédiction de la naissance d'Abraham qui "se dresserait contre lui et imposerait un démenti éclatant à sa religion". Le roi impie se fait ériger un palais labyrinthique où il enferme les femmes enceintes du royaume, afin de faire massacrer les enfants mâles. La mère d'Abraham, avertie, fuit dans le désert et accouche dans une grotte où l'enfant, abandonné sous la protection de l'ange Gabriel note 4 . Une telle légende trouve sa réminiscence évangélique dans le Massacre des Innocents ! Le héros grec Persée connaît un sort similaire à Oedipe : petit-fils d'Acrisios, il est enfermé avec sa mère dans un coffre et jeté à la mer parce qu'un oracle avait prédit qu'il tuerait son grand-père et conquerrait le trône note 5
Mais au-delà de l'aspect "héroοque" de la quête de l'enfant coiffé, la structure du récit révèle une construction symétrique sur deux axes confrontant le héros à quatre modèles de parenté et le faisant évoluer dans deux univers existentiels bien différents.
On peut schématiser cette construction comme suit :
2.f MA | 1.Fp Mp --- H --- 3.Fp'M'a | 4.Fp ma |
L'enfant chemine du monde réel vers un univers idéal, extérieur et puissant, dans lequel il ne peut résider que s'il accepte de quitter le monde réel pour pénétrer par delà le fleuve sous la terre. Trois mondes sont donc présents dans le conte : le monde terrestre, (lui même clivé en deux : maison familiale et moulin contre forêt et repaire des voleurs) le monde idéal et l'enfer, monde obscur.
Tel est l'univers de ce conte dont nous venons de mettre les éléments en place. Il nous reste maintenant à l'explorer et en interpréter les éléments.
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